A contre-courant [Equipage de Punition Expéditive]

Il y eut un bruit sourd, dérageant, répétitif. Au début, seuls ceux qui avaient une ouïe particulièrement fine pouvaient s'en rendre compte. Pourtant cela devint plus en plus fort, et opressant. C'était le son d'une cloche, d'une énorme cloche, invisible. Il n'y en avait pas sur le bateau, et les berges du fleuve étaient inhabitées.

Impossible, donc, d'expliquer une telle chose...

Le son, au fur et à mesure de ses battements, sombres, arriva à son paroxisme. Pour ceux qui se trouvaient sur le pont, un vent étrange souffla, renversant les gens vers l'arrière, sans pour autant être suffisamment violent pour projeter les gens sur quoi que ce soit. Les plus forts, seulement, pouvaient résister à ce vent... Ceux qui étaient dans les cabines n'entendirent que ce son, plus fort que les autres, résonnant jusqu'au fond du coeur.

Il fallait être fou, sans âme, ou de sang glacial, pour ne pas ressentir une once de peur ou d'appréhension après une telle chose.

Les eaux du Cocyte, comme si elles répondaient à l'ordre soudainement reçu, s'arrêtèrent. Plus une vague, plus un souffle autre que celui des vies des marins. Le fleuve était mort, aussi mort que ses berges. Et tout un chacun savait que ce n'était pas normal.

Un Corsaire poussa un cri, sur le pont. Un cri qui brisa le silence qui s'était installé, encore plus pesant que le son de la cloche qui avait précédé. Certains dégainèrent leurs armes, d'autres se tenaient simplement sur leurs gardes. Dans les eaux du Cocyte, des yeux globuleux sortaient des larmes, et se dirigeaient vers Punition Expéditive, avant de sauter littéralement sur le pont.

Ce n'était pas des Humains. Et le terme d'humanoïdes était peut-être un peu malavisé. Ils étaient dix, et ressemblaient très fort à des lézards. Pour le reste, ils faisaient deux mètres de haut, mais avaient un corps frêle. Des faibles jambes les portaient, puisqu'ils ne se tenaient que sur deux pattes. Et leurs yeux, immenses, fixaient les Corsaires. Ils étaient armés de lances, et leurs corps verts et pustuleux n'avaient aucun vêtements... Cette apparence faible, ceci dit, était probablement trompeuse, vu le saut qu'ils venaient de faire pour atterrir sur ce pont.

L'un d'entre eux se tourna vers un matelot en particulier, et lança sa langue gluante vers lui, pour lui attraper le bras. Avec force, il tira le malheureux jusqu'à lui. Cet homme put sentir à quel point ces assaillants dégageaient une odeur pestilencielle... Plein d'espérance, il prit son poignard, et le planta dans l'oeil du lézard géant.

Ceci dit, énerver une telle créature ne fut pas une bonne idée. Rapidement, il fut gobé, et il ne resta de lui que ces flots de sang qui dégoulinaient de la gueule du monstre blessé.

Dix.

Ils étaient dix, et ils fondirent sur les Corsaires, avec une rage sensible, et une rapidité surprenante.

Kanaw n'avait aucune arrière pensée en posant sa question au sujet de la conduite du bateau. C'était... une attention telle qu'un fiancé devrait en avoir pour sa promise. Une proposition, qui voulait faire en sorte que leurs passions soient partagées. Cependant, elle réagissait d'une façon un peu étonnante... presque "extrème", par rapport à ses paroles. Elle aurait pu simplement dire qu'elle ne s'en sentait pas capable. Mais non, elle lui envoyait une autre question. Et, vaguement, il fronçait les sourcils.

Ceci dit, le sujet s'effaça soudainement, pour laisser la princesse avouer sa défaite. Et lui répondre. Et bien, il ne s'attendait pas à tant de choses. Au fond de lui, il pensait bien qu'elle trouverait un moyen de retourner la situation. Le sujet n'était pas vital, mais... mais c'était une belle joute orale, et elle lui reconnaissait un certain don. Cela tombait bien, car il avait besoin de ce don. Pas pour elle, mais pour le Roi. C'était lui, qu'il devait convaincre, et parfois repousser dans ses retranchements.

Il sourit doucement, laissant les derniers mots de la jeune fille couler sur sa peau, avant de la regarder se redresser, et lui montrer la sortie de la cabine. Kanaw devait bien être un peu plus sérieux, et s'occuper de son rôle de Capitaine.

-Je t'ai fait cette proposition parce que tu avais l'air intéressée par la barre, tout à l'heure. Et ne t'inquiète pas, je ne comptais pas te faire prendre la direction du navire en plein Cocyte... juste te montrer ma passion... dans une eau un peu plus calme, s'il en est. Et je ne sais pas si une excellente vue est nécessaire pour diriger un bateau.

Une esquisse de sourire, franc pour une fois, et le voilà qui remettait en ordre ses vêtements, à son tour.

-Pour ce qui est de ta virginité, je ferai attention. Enfin, cela m'intéresserait que tu la gardes jusqu'à ce que nous consommions notre hymen... Je n'ai jamais eu l'occasion d'aimer une femme qu'aucun homme n'a pu visiter... Et oui, je sais, je parle un peu froidement à ce sujet.

Après tout, il n'avait pas d'autres mots pour ses pensées. Le Capitaine commençait à se recoiffer rapidement, lorsqu'il se rendit compte de quelque chose d'anormal : des bruits de cloche.

-Tiens, on fête déjà notre alliance, dehors ?

Décidément, il ne le prenait pas au sérieux. Sauf que le bruit devenait de plus en plus assourdissant, et que l'homme grinça un court instant des dents, avant de soupirer. Le coup final n'eut en apparence aucun effet sur lui. Sauf qu'il n'aimait pas le silence qui suivait.

Sa main valide portée à sa ceinture, il prit son fouet, et se tourna vers la jeune femme :

-Ce bateau ne devrait pas être aussi immobile sur le Cocyte. Je n'aime pas ça...

Il s'approcha d'elle, puis lui dit doucement :

-Nous ne savons pas ce qu'il y a dehors, et il nous faut un plan d'action. J'ai une zone d'attaque assez longue grâce à mon arme, mais je ne peux pas m'en sortir en combat rapproché, sans utiliser le pouvoir de mon Totem. Comme j'aimerais éviter cela, procédons de manière intelligente : j'attaque ceux qui sont dans ma zone, et s'ils s'approchent de trop, tu les poignardes. A deux, nous pouvons nous défendre l'un l'autre... et mettre de côté nos faiblesses.

En faisant signe à la princesse de rester pprès de lui, il s'avança, et ouvrit la porte. A quelques pas d'eux, il y avait les monstres. Et lui même sentait leur odeur. Eleanora n'aurait donc pas de réel problème à ce sujet.

Le jeune homme esquissa un sourire. Il redevenait le Croc Noir, cet étrange Capitaine au sourire ironique.

-TUEZ-LES, TOUS, AVANT QUE JE NE VOUS ELIMINE POUR LACHETE !

Le message était passé : les Corsaires arrêtaient de fixer bêtement les intrus. Ceci dit, l'attention du Croc était détournée par le commandement, et il venait de laisser s'approcher dangereusement un des dix lézards.

La main posée sur la poignée de la porte, Eleanora se figea aux paroles de son fiancé, et se retourna pour lui faire face, un sourire convenu ornant son visage de glace. Comme à son habitude, elle ne réagit pas à ce qu’il disait. Soit parce qu’elle n’en voyait pas l’utilité, soit parce qu’elle le croyait.
Mais qu’il veule simplement lui apprendre quelque chose, pour le plaisir de partager sa passion avec elle, c’était… trop incohérent à son goût. Elle y sentait même… comme une sorte d’erreur, dans l’énoncé.

Elle ne fit pourtant aucun commentaire, se contentant d’un vague signe de tête qui ne signifiait ni oui, ni non. En effet… Il n’avait pas vraiment tort lorsqu’il affirmait qu’une excellente vue n’était pas forcément nécessaire pour diriger un bateau. Ce n’était pas elle qui allait le contredire… Mais peut-être aurait-elle préféré qu’il s’arrête à cela.

Elle-même effaça cette partie de la conversation d’un simple cillement, puis arqua un sourcil volontairement perplexe, croisant les bras, et penchant légèrement la tête sur le côté. Les paroles de Kanaw avaient quelque chose de profondément vexant, en vérité. Très peu subtile, ce genre d’allusion. Cela ne parut absolument pas l’attrister plus que cela.
Au contraire… son regard placide laissait danser un certain amusement au fond de ses yeux. Amusement qu’elle souligna dédaigneusement d’un mouvement d’épaule, et d’une simple remarque d’une neutralité exaspérante :

- Tu ne parles pas froidement… Tu es juste insultant.

Et comme pour souligner son constat, un son de cloche se fit entendre, la faisant tourner la tête vers la porte, comme si elle s’attendait à voir surgir n’importe quoi. Elle restait pourtant d’un calme renversant, presque irréel. Si bien qu’elle accompagna la remarque ironique du Capitaine d’un sourire de circonstance.

Visiblement, ils venaient de se trouver un autre point commun. Ni l’un ni l’autre ne réagissait face au danger qui pouvait se présenter. Lui, ne le prenait pas au sérieux. Et elle… ne semblait pas le remarquer du tout. Presque comme si ce son de cloche sinistre et assourdissant, résonnant dans l’air, était parfaitement normal. Elle ne fut donc pas plus déstabilisée que lui par le coup final, et se contenta de glisser un regard froid vers son fiancé, teinté d’une vague interrogation.

Le silence qui suivit fut plus angoissant encore que les cloches elle-même. Mais angoissée, Eleanora ne l’était pas non plus. Ou bien, si elle l’était, elle le cachait avec une habileté digne du miracle. Elle constata sous ses pieds l’absence de mouvement et de tangage, et en conclut avec une froide logique que le bateau venait d’être immobilisé au milieu du fleuve. Ce que Kanaw confirma par ses paroles…

Gardant un silence aussi angoissant que celui qui régnait sur le navire, la jeune femme s’avança avec nonchalance vers le fauteuil où son fiancé était assis quelques instants plus tôt, et récupéra le poignard encore rouge de son sang, qu’elle nettoya négligemment en le frottant contre ses vêtements. D’un geste vif, elle sortit le jumeau du poignard, et les fit tournoyer entre ses doigts, tout en fixant son attention sur Kanaw.

Kanaw qui lui expliquait un plan d’action, et qui put se rendre soudainement compte que la Princesse, en face de lui, absorbait chacune de ses paroles, sans en perdre une miette. Dans ses yeux où l’océan combattait les glaces éternelles, une lueur meurtrière filtra, et demeura. Eleanora eut un sourire que le Capitaine ne lui avait encore jamais vu… celui qui précédait un combat. Ou un meurtre.

Ses deux poignards luisaient faiblement, encadrant son visage aux traits fins et inquiétants, lorsqu’elle hocha à peine la tête, pour approuver ce qu’il venait de dire. Sans un mot, elle le suivit docilement, et sortit à sa suite sur le pont du navire, avec ce même sourire angoissant ancré sur ses lèvres.

Elle se figea à la gauche de Kanaw, et fronça légèrement le nez, alors que l’odeur pestilentielle de leurs assaillants lui parvenait brusquement, encore plus distinctement que pour n’importe quel membre de l’équipage. Elle dut sans doute faire un effort pour réprimer une grimace de dégoût, et conserva son sourire aussi angélique que diabolique.

En un regard circulaire, elle s’accorda le temps de compter les dix silhouettes qui les attaquaient. Ses yeux ne lui permettaient pas de discerner aussi bien qu’elle le voudrait l’apparence de ce qu’elle qualifia simplement de monstre aquatiques. Et peut-être était-ce d’ailleurs un avantage pour elle, de ne pas les voir tels qu’ils étaient, mais comme des formes vaguement floues…

Se repérant grâce à l’odeur que les agresseurs dégageaient, Eleanora eut vite fait de calquer les mouvements des créatures les plus proches. L’une d’elles, d’ailleurs, venait de devenir beaucoup trop proche… Une occasion à ne surtout pas laisser passer.
En un mouvement fluide et félin, la jeune femme fut derrière le monstre, et la seule seconde qui suivit lui suffit à planter son poignard gauche dans la gorge de la créature, s’accordant le temps de l’enfoncer autant qu’elle le pouvait, pour finir par le retirer d’un coup sec, et se retourner aussitôt.

… pour lancer plus par instinct qu’autre chose son autre poignard droit devant elle, où un second monstre s’était avancé d’un peu trop près. Son odeur si forte l’avait avertie du danger juste à temps… et la lame acérée atteignit la créature en plein front. D’un bond, Eleanora fut auprès du second corps, et lui arracha l’arme, avec un peu plus de difficulté.

Gardant un sang froid exemplaire, et presque irréel, elle revint en deux enjambées aux côtés de Kanaw, ses yeux bougeant sans cesse, s’accrochant à chaque forme floue qu’elle voyait se mouvoir. Mais si elle focalisait sur ses silhouettes, et si leurs odeurs l’aidaient à capter le moindre de leurs mouvements… en revanche, leurs lances n’avaient pas assez d’odeur pour qu’elle les remarque assez vite.

L’une d’elles siffla à ses oreilles, et elle n’eut que le réflexe de bouger de quelques centimètres. Juste assez pour ne pas la recevoir en plein cœur. Mais pas assez pour l’éviter entièrement. La lame déchira sa chemise, transperça la chair de son bras, et vint finir sa course, plantée dans le bois du navire, juste derrière elle.

Eleanora n’émit aucun son, ne fit aucun geste. Comme s’il ne s’était absolument rien passé. Cependant, elle rangea son poignard droit, et laissa retomber son bras ensanglanté le long de son corps. Se battre simplement avec sa main gauche n’eut pas l’air de la déranger. Pas plus que son propre sang qui commençait à maculer lentement sa chemise éclatante. La blessure ne semblait pas profonde, mais assez pour qu’elle se sente obligée de ne plus se servir de son bras…

Un simple murmure franchit alors ses lèvres. Un murmure presque gaie, et dont la sonorité contrastait tellement avec la situation, qu’il inquiétait plus encore :

- C’est-ce qu’on appelle une grave erreur…

Erreur de sa part ? Ou de la leur ?

Plus que huit.

Celui qui avait touché la princesse ricana, d'un rire animal, sombre, et inquiétant. Il se vantait vraisemblablement d'avoir touché sa cible. Il ne se vanta pas longtemps, puisqu'un jeune Corsaire le décapita.

Ils étaient sept, donc, et cela leur suffisait amplement pour faire des morts dans les rangs des Corsaires. Surtout que trois d'entre eux filaient vers le duo du Capitaine et de la Princesse tueuse. Vengeurs ?

Probablement, oui, qu'un certain don pour le travail en équipe les motivait, vu leurs agissements.

Kanaw avait plusieurs choses à faire : vérifier que les pertes dans son équipage ne soient pas trop nombreuses, éviter de se faire tuer, et protéger la Princesse. Contrairement à sa sœur, il portait beaucoup d’attention envers ceux qui se battaient à ses côtés. Se battre sous le crâne loufoque des Corsaires, sur le bateau du Croc Noir, c’était en grande partie faire partie de l’élite de ses soldats. Le bateau recrutait des gens doués. Ou des gens qui avaient des grands potentiels. Leur Capitaine pouvait toujours éliminer les gêneurs –même si la torture était préférable-, il prenait cependant soin de ses hommes. Et c’était par des ordres vifs, et parfois par des regards, qu’il gérait sa troupe.

Ceci dit, il n’était pas habitué à ce genre de combat. C’était la première fois que l’équipage de Punition Expéditive se faisait aborder. La première fois qu’ils étaient sur la défensive. Pourquoi ? Parce que le bateau était si rapide, en règle générale, que quand cela n’allait pas, Kanaw Llyr savait fuir. Eviter d’être en position de faiblesse, pour ne pas faire de faux pas, c’était une de ses lois personnelles. Et là, il était en difficulté.

Ils avaient l’avantage du nombre, oui. Le tout étant de perdre le moins possible d’hommes. Et durant le début des combats, le Croc Noir mettait plus de temps à ordonner qu’à combattre : son fouet traînait à terre, comme sans vie. Peut-être que le Capitaine ne jugeait pas utile de se jeter lui-même dans la bataille.

Eleanora, à ses côtés, fut la cible d’une lance, après avoir éliminé deux des ennemis. La lance arrivait vers eux, et il fit un pas de côté, pour éviter d’être touché. Après tout, le bras droit de la jeune femme était près du bras gauche blessé de l’homme. Il avait assez mal comme cela.

Un regard, une oreille pour écouter les mots de la Princesse, et le voilà qui esquissait un sourire amusé :

-Sincèrement, nous faisons pâle figure, ma mie.

Il fit une révérence devant la demoiselle, tout en disant :

-Permettez-moi d’être le bras droit que vous venez de perdre, si vous me faites le plaisir de remplacer ma main gauche.

Trois hommes lézards filaient droit vers eux.

-Mais avant, place à l’amusement. Puisque la féminité me refuse, je noierai ma frustration dans le sang.

Kanaw Llyr. Connu pour ses colères meurtrières, mais aussi pour son fouet. Quand quelqu’un possédait une force telle que celle de ce Capitaine, une brutalité pure, cachée derrière un sourire perpétuellement ironique, et une folie douce ; le fouet n’était plus seulement un instrument de torture. Certains Corsaires disaient que l’arme de Kanaw était le prolongement de son esprit : sinueux, fourbe, noir, décrivant des courbes splendides… dans le but de faire souffrir. Et lorsqu’il le lâchait, en plein combat, c’était quand son âme lui-même le quittait, et qu’il devenait un monstre de colère trop implacable pour la subtilité du fouet.

La main droite du Croc Noir était presque invisible. Le fouet, gracieux, magnifique, se courbait dans les cieux, avant d’entourer le cou d’un des soldats lézards. Kanaw banda les muscles de son bras droit, et arracha la tête d’un de ses assaillants. Les deux autres s’arrêtèrent, fixant le corps de leur équipier secoué d’un spasme. Trop tard : le Capitaine des Corsaires avait serré son étreinte autour de la cheville d’un second agresseur, et avait de nouveau raidit ses muscles. Ce combattant s’écroula sur le sol, pendant que Kanaw courait vers lui et son camarade.

Le pied gauche du Capitaine écrasa littéralement le crâne de l’homme-lézard qui se trouvait au sol.

-Ah, bonne nouvelle, ils ne sont pas très résistants !

Le Fou esquissa une moue déçue.

-Mauvaise nouvelle : mon pantalon est foutu.

Le sang vert noirâtre de l’être tâchait effectivement le beau vêtement du Capitaine Corsaire. Cependant, il aurait mieux fait de s’inquiéter d’autre chose : une dague de mauvaise facture se posa contre la gorge de Kanaw, la lame menaçante. Et il sourit :

-Oh, vous ne me comprenez peut-être pas, mais sachez que ma sœur donnerait tout ce qu’elle a pour faire ça.

Une hache de jet venant de la gauche se planta dans le crâne de l’assaillant qui venait de mettre en difficulté la vie du Croc Noir.

-Mais elle aurait été assez intelligente pour ne pas baisser sa garde.

Il esquissa une grimace, en constatant qu’une entaille, peu profonde, mais gênante, se trouvait au niveau de son cou.

-Ma sœur est quelqu’un de fort intelligent. Un peu brute, cependant…

Le jeune homme sortit un mouchoir de sa poche, pour éponger son propre sang.

-Cependant, je constate que je parle seul… donc… je vais juste prendre le temps de me demander si la brute et le simple ont vécu le même genre de difficultés… oh, et puis je me poserai la question quand le problème sera réglé.

Un sifflement dans l’air, et Kanaw eut à peine le temps de porter la main à sa nuque, qu’il s’écroulait à terre, endormi.

Citation :: Il y eut un noir, et puis Kaano, là, dans son songe. Le Capitaine sourit. Le loup s’installa sur ses genoux, et murmura :

-Mon Roi a probablement quelque chose à voir avec les monstres.
-Intéressant.
-Ne serait-il pas temps de te mettre en colère ?
-Non, non, je ne veux pas risquer la vie de mon équipage.
-Alors tu es quelqu’un de bien ?
-Non. C’est la solitude, qui me rend ainsi….

Le rêve se brisa sous la douleur : un des assaillants poussait des cris de joie, puisqu’il avait enfoncé sa lance dans la main bandée du Croc Noir, et qu’il allait pouvoir le tuer. L’être immonde ouvrit sa gueule pleine de crocs, et s’approcha petit à petit du Capitaine.

Après avoir vérifié d’un œil distrait que celui qui avait réussi à la blesser ne pouvait plus franchement ricaner de la sorte, la Princesse, l’air parfaitement dans son élément malgré les apparences, se mit à sourire avec une sorte de malice qu’on ne lui connaissait pas encore, et qui la rendit un peu différente…

Elle tourna son regard métallique vers son fiancé suite à sa première réflexion. Visiblement, tout ceci l’amusait franchement. Etait-ce donc simplement un jeu, pour elle ? N’avait-elle pas conscience du danger qu’ils couraient tous ? Ne songeait-elle pas que cette lance aurait pu se ficher dans son cœur ? Apparemment, si elle était incapable d’éprouver de l’amour, c’était aussi le cas pour tout autre sentiment. Non, elle n’était nullement effrayée.

Et vraisemblablement, son fou de fiancé non plus. Bien au contraire. Elle répondit à sa révérence par un signe de tête poli, comme s’ils étaient encore en pleine discussion courtoise, alors même que c’était loin d’être le cas. Décidément, le couple tranchait franchement, au milieu de l’agitation et des cris de la bataille sur le pont du navire.

- Je m’en ferais une joie, Kanaw Llyr…

Et pour souligner sa réponse, elle fit tournoyer son poignard juste devant son visage, la lame couverte de sang semblant devenir la continuité même de sa main, de son bras, de son corps… Et quand bien même l’agitation des combats lui paraissait dérisoire, rien ne disait qu’elle n’y prenait pas garde.

A la vérité, si elle donnait l’impression de ne pas y témoigner d’attention, c’était surtout parce que ses yeux tranchants ne fixaient rien en particulier. Sa vue ne lui suffisait pas pour mener une bataille de la sorte, et elle devait donc faire appel à toute la faculté de son totem pour suivre les mouvements des ennemis, plissant le nez en concentrant son attention uniquement sur l’odeur qu’elle reconnaissait comme la leur. L’exercice n’était pas aussi simple qu’elle avait bien voulu l’admettre à Kanaw.

Mais cela ne l’inquiétait pas plus que cela. Semblant assister tout bonnement à un spectacle, Eleanora s’avança légèrement pour ne pas perdre le Capitaine des yeux, et regarda le fouet fendre gracieusement l’air, et neutraliser bien vite un autre des monstres. Le sourire de la jeune femme, au moment où son fiancé écrasait consciencieusement le crâne de la créature, se fit on ne peut plus sadique, tout en gardant un charme déconcertant.

La Princesse arqua un sourcil perplexe en entendant Kanaw continuer à parler. Elle semblait imperméable à toute tentative d’humour, et pourtant, il était clair que l’attitude du jeune homme devait sérieusement l’amuser. Elle n’en montrait rien, certes… mais cela restait évident. Seule preuve : elle s’accordait le temps d’observer ses faits et gestes, avec un calme presque irréel.

Apparemment, elle ne se faisait absolument aucun souci pour lui. Ni pour elle-même d’ailleurs… Mais à dire vrai, elle n’avait pas grand chose à craindre pour l’instant. Les monstres n’étant plus que six à cet instant précis, ils étaient tous occupés avec l’équipage du Croc Noir. Personne n’aurait su dire si cela arrangeait ou non la Princesse, d’être un instant oubliée.

Elle fit pourtant un geste en voyant une lame se poser soudainement sur la gorge de son fiancé, mais quelqu’un fut plus rapide qu’elle, et l’assaillant fut rapidement neutralisé, sans que le Croc Noir ait pour autant cessé de parler. Cela aurait pu agacer certain, en étonner d’autres, voir amuser quelques uns… Elle, choisit de n’y pas prendre garde. A moins qu’elle n’en perdît pas une miette…

Jusqu’au moment où l’un de leur adversaire mit fin au discours de Kanaw, en l’assommant proprement. Pas un seul sursaut de la part d’Eleanora, tandis que ses yeux fixaient la silhouette gisant au sol, à la merci des créatures.

Une forte et désagréable odeur à sa gauche lui fit détourner un instant la tête. Elle eut tout juste le temps de se baisser pour éviter de finir dans la même situation que le Capitaine, et esquissa un geste presque nonchalant, tranchant proprement la gorge d’un monstre qui avait voulu l’avoir pas surprise.

Essuyant machinalement sa lame sur son pantalon, elle déclara alors, de cette même voix joyeuse, qui mettait si mal à l’aise, et enchantait tout à la fois :

- Et bien, Kan… Le navire est bien silencieux, lorsque tu ne parles plus…

Et deux enjambées plus loin, elle se retrouva nez à gueule avec la créature qui venait d’enfoncer sans hésitation sa lame dans la main déjà blessée de Kanaw. Avec un sourire on ne peut plus angélique à l’attention de la créature, elle lui dit poliment :

- Excusez-moi, mais j’ai passé un certain temps à lui recoudre la main, et sans vouloir vous offensez, cela me fait vraiment de la peine de voir mon beau travail gâché de la sorte… En conséquence…

D’un geste vif et surprenant, puisqu’elle attirait jusqu’ici l’attention de la créature en brandissant devant lui son poignard ensanglanté, elle arracha un peu violemment, et sans état d’âme, la lance plantée dans la main de Kanaw, et la retourna contre son possesseur, lui transperçant le ventre.

-… j’ose espérer que vous me pardonnerez ce manque de politesse…

La jeune femme eut tout de même une petite moue, énigmatique, qui s’expliquait sans doute par le fait qu’elle s’était obligée à se servir d’un bras ensanglanté, qui tenait encore fermement la lance. Incapable de la retirer du corps, Eleanora laissa son bras ballant, et la créature s’écroula à ses pieds, tombant à moitié sur le Capitaine.

La Princesse poussa le corps du bout de sa botte, pour libérer son fiancé, et s’agenouilla, glissant son bras valide sous celui du jeune homme, pour le relever sans réelle douceur, mais avec malgré tout une sorte de précaution étrange. Elle lui envoya une gifle pour achever de le réveiller, et se contenta d’un constat :

- Le moment est mal choisi pour dormir, Capitaine.

Tout en le relevant, elle se mit en devoir d’épousseter machinalement les vêtements du jeune homme, avec une indifférence qui poussait presque à l’exaspération. Autour d’eux, les cris et l’agitation semblaient se calmer, puisqu’il ne restait plus que deux adversaires à combattre. Mais le nez plissé d’Eleanora prouvait qu’elle guettait le moindre de leurs gestes…

Elle se permit alors un dernière remarque, dont le ton franchement sérieux contrastait avec le contenu même de ses paroles :

- Si tu ne veux pas tâcher ton pantalon, bats-toi sans, Kan.

Et comme une preuve à ce qu’elle avançait, la voilà qui déchira d’un coup sec la manche de sa chemise, tellement imbibée de sang que cela devait frotter consciencieusement sur la blessure, et certainement un peu trop à son goût.

Eleanora ne prit même pas le temps de vérifier l’état de son bras, alors que la plaie n’était pourtant pas très jolie à voir, et tourna son regard alternativement vers les deux créatures encore debout…

Les Corsaires, voyant le nombre d’ennemis fortement baisser grâce à leur Capitaine, et à cette étrange jeune qui le suivait, redoublèrent de volonté et de courage, fondant sur leurs ennemis. Dans le tumulte, il fut difficile de savoir qui les avait tués (donc si un joueur veut dire qu’il en a tué un, il peut), mais c’était fait. Le bateau était toujours au beau milieu d’un Cocyte anormalement calme, sans intrus.

Une rumeur, sourde, emplie de questions et de craintes, s’enfouit dans les rangs des Corsaires. La plupart d’entre eux, bien que braves, s’interrogeaient sur la venue de tels monstres, et l’idée que cela était une malédiction s’imposa rapidement dans les rangs. La crainte d’un esprit plus fort qu’eux, ou que la fin du monde était déjà plus engagée qu’on ne le pensait, entre les mains des monstres de l’autre monde.

Beaucoup demeuraient sur leurs gardes : tant que le fleuve ne reprenait pas ses aises, il y avait des risques. D’autres cherchaient à voir les autres bateaux, se demandant si les équipages qui devaient momentanément leur servir d’alliés étaient en difficulté, ou non. Ceci dit, comme le fit remarquer un des jeunes mousses, ils étaient probablement trop éloignés des autres, vu la vitesse qu’ils avaient pris dès qu’ils avaient quitté le port.

A son réveil, Kanaw dut s’avouer surpris. Surpris, parce qu’il y avait une jeune femme, habituellement si froide et si imprenable, qui lui faisait la réflexion de ne pas parler suffisamment. Et même s’il n’était plus franchement en étant de faire quoi que ce soit, puisqu’il était encore dans les vapes, il s’étonna de la situation, et prit soin de suivre du regard la Princesse.

Oh, bien sûr, elle avait des progrès à faire en humour. Mais cela avait au moins l’avantage de faire sourire Kanaw. Apparemment, il aimait cela. Et sans faire un commentaire, il suivit la scène, de son point de vue. C’était-à-dire : en les regardant du sol.

Il esquissa une grimace de douleur, quand elle retira la lance de sa main, puis se retrouva debout, sans adversaire, supporté par la sévérité et la précaution d’une sombre princesse. Il se prit une claque, sans broncher, à part en se tenant sa joue rouge, et haussa un sourcil à la réflexion. Il n’avait pas encore la force de parler, ni de se révolter contre le fait qu’une Princesse l’époussette.

Cependant, le Croc Noir se permit de rire, soudainement, lorsqu’elle lui proposa de se battre sans pantalon. Il répondit enfin, par un bref :

-Je ne te ferai pas ce plaisir !... ça pourrait déprimer mon équipage.

Attentif, cependant, à la Princesse –peut-être parce que si elle se faisait du mal, c’était la richesse et le pouvoir qui s’échapperaient de ses mains-, il fit une moue embêtée en voyant l’état de son bras. Jugeant que ses soldats pouvaient très bien s’occuper des deux autres adversaires –et il jugeait bien-, le Capitaine s’approcha d’Eleanora, et murmura :

-Tu as besoin de soins. Et je ne suis pas aussi doué que toi pour la couture.

Connaissant ses compagnons, la plupart d’entre eux proposeraient l’amputation. Ce qui serait une grave erreur. Il fallait soigner la plaie.

-Reste là, calmement, je demanderai ensuite à quelqu’un de ramener de quoi te soigner.

Le combat était terminé, mais l’inquiétude toujours présente dans les rangs. Lui, se demandait si les deux autres Capitaines avaient eu ce genre de problèmes, sans pourtant quitter son sourire. Sa main ? … il ne songeait pas à cela.

-Restez sur vos gardes, on ne sait jamais. Il me faudrait du linge propre, et de l’eau chaude, si c’est possible.

Deux mousses filèrent à l’intérieur du bateau.

-Comptez les blessés, et soignez-les. S’il y a des morts, je veux le savoir le plus vite possible.

Pas de morts, apparemment, mais quelques blessés. Kanaw était fier de sa flotte, du coup. Et il se posait bon nombre de questions sur la Princesse, qui avait éliminé le gros des troupes. Décidément, si toutes les Princesses étaient comme cela… les marins avaient du souci à se faire.

Le linge n’était pas parfait, mais l’eau était très bien. Alors il s’approcha de la princesse, avec le sceau d’eau et le linge qu’on lui avait donné, et lui dit :

-Si vous le permettez, demoiselle, je vais panser votre blessure.

Elle n’avait pas franchement le choix, en réalité. Il commença à laver la plaie, puis, fit un bandage. Ce n’était pas l’idéal, et il n’était pas médecin, mais cela pouvait au moins ralentir l’hémorragie.

Ceci dit, vu l’état que devait avoir sa main gauche, qu’il n’avait pas utilisée pendant les soins d’Eleanora, demandant de l’aide à un des Corsaires, il devait aussi avoir besoin d’un nouveau bandage… et peut-être de nouveaux points de suture.

Enfin, il songeait plus à demander où Eleanora avait appris à se battre, qu'à insister sur l'importance de soins.

- C’est fort dommage, vraiment.

Ce fut la réponse simple et détachée qui sortit de la bouche d’Eleanora, lorsque que Kanaw, après un bref éclat de rire, avait annoncé qu’il n’allait certainement pas se battre sans son pantalon. A vrai dire, vu l’air toujours aussi indifférent, et le ton neutre de la jeune femme, elle n’avait pas franchement l’air de trouver cela si dommage. Au contraire, elle s’en fichait royalement. D’où un humour plutôt spécial…

Les yeux perdus dans le vide, la Princesse semblait s’être de nouveau emmurée derrière son silence imprenable et son indifférence quasiment exaspérante, compte tenu de la situation. Elle semblait n’accorder aucun intérêt aux derniers monstres rapidement mis hors d’état de nuire, ni aux murmures qui suivirent la fin du combat. Si elle-même, nourrissait quelques craintes au sujet de cet abordage, elle n’en montrait rien. Mais peut-être absorbait-elle plus qu’elle ne le paraissait les différentes conversations et élucubrations autour d’elle.

Quoi qu’il en fut, elle ne s’en inquiéta pas d’avantage, et ne parut pas réagir non plus au murmure de Kanaw, qui suggérait judicieusement qu’elle avait besoin de soins. Sans même le regarder s’éloigner, la jeune femme haussa les épaules en un geste à la fois gracieux et nonchalant, puis s’approcha du bastingage, pour plonger son regard dans les eaux immobiles du fleuve.

Là, ses yeux semblèrent fixer un point précis, et son sourire devint un peu plus doux, quoi que toujours aussi distant. Après un court instant d’immobilité, elle se hissa de son bras valide, pour s’asseoir sur le bastingage, le dos imprudemment tourné vers le vide et les larmes du Cocyte. Ses bottes ne touchant plus le sol vinrent se balancer négligemment à quelques centimètres du pont du navire.

Eleanora quitta l’eau des yeux, pour les poser sur son poignard sale de sang, qu’elle entreprit d’essuyer le mieux possible, avant de le glisser en face de son jumeau, tous deux bien cachés au niveau de sa ceinture. Ce fut à ce moment que Kanaw revint avec de l’eau et un linge, et qu’il lui demanda inutilement l’autorisation, avant de laver la plaie et de la panser, à l’aide d’un des Corsaires.

Pendant les soins, la jeune femme ne bougea pas d’un pouce, ne clignant même pas des yeux. Son sourire doux ancré sur ses lèvres était un rempart efficace pour contre carrer les expressions douloureuses qu’elle pourrait avoir, lorsque les gestes du Capitaine appuyaient trop sur sa blessure.

On ne pouvait rêver d’une patiente plus sage et impassible… Ses yeux de glace n’observaient pas ce que Kanaw était en train de faire, mais se plissaient en direction de la main blessée du Capitaine, sans pour autant changer d’expression. Lorsque son bandage fut terminé, cependant, elle esquissa un signe du menton vers la plaie de son fiancé, constatant platement :

- Il va falloir recommencer…

Elle sauta à bas du bastingage, avec la souplesse d’une combattante, et non pas celle d’une Princesse, et lui tapota simplement l’épaule, en déclarant :

- A ton tour d’attendre sagement.

Et la Princesse disparut jusqu’à la cabine de son fiancé, pour revenir quelques minutes plus tard, une aiguille improvisée entre les mains, brillant d’un éclat doré. Le poussant avec autorité et douceur tout à la fois, Eleanora l’approcha du bastingage, elle-même s’y rassit, avant de le forcer à lui montrer sa main blessé, dont elle écarta délicatement les doigts, pour observer la paume, puis le dos.

- Je crois que tu as eu de la chance, Kan…

Elle releva ses yeux vers lui, après avoir vérifié l’articulation de chaque doigt, qui s’étaient pliés chacun leur tour sans aucun problème.

- … à quelques centimètres près, tu aurais pu ne jamais plus pouvoir plier tes doigts.

Elle énonça cette nouvelle sans état d’âme ni véritable soulagement, avant de poser la main du Capitaine à plat sur sa propre cuisse, pour commencer à le recoudre lentement, l’air à la fois détaché et on ne peut plus concentré. D’ailleurs, il était fortement déconseillé de la déranger en un pareil moment, cela se sentait dans chacun de ses gestes calculés. Kanaw non plus n’avait pas eu tellement le choix, mais peut-être n’était-il pas tellement rassuré de savoir que la jeune femme qui tenait l’aiguille était myope.

Mais l’odeur du sang guidait Eleanora, lui faisant deviner les contours de la plaie plus ou moins facilement, son nez froncé continuellement prouvant l’attention qu’elle portait à ce qu’elle faisait. Lorsqu’elle eut terminé, et qu’elle recouvrit son travail d’un bandage moyennement propre, elle redressa la tête, et lui sourit.

Il s’écoula alors un moment d’immobilité totale de sa part, l’acier de ses yeux cherchant visiblement quelque chose au milieu des flammes qui noyaient le regard de son fiancé.
Elle eut alors une réaction inattendue, glissa ses doigts le long de la joue du Capitaine, approcha son visage, et l’embrassa doucement. Les lèvres délicates de la Princesse avaient encore en elles l’ardeur du combat qui venait de se jouer, et le baiser fut différent des précédents.

Lorsque Eleanora s’éloigna finalement, elle fit précisément comme si de rien n’était, avec cette attitude naturelle qui lui allait si bien. Le baiser ne trouvait sa signification nulle part. Elle l’avait fait, point final. La jeune femme posa alors son regard sur sa blessure qui teintait lentement son bandage d’un rouge vif, puis annonça dans un murmure :

- Très bien, je t’attends, Kan… Pose-moi tes questions.

Lycia émergea de son rêve, totalement désorientée. Des cris étaient lancés du pont, et l'on se battait probablement... ce qui termina de surprendre la jeune femme. Contre qui pouvait-on se battre... dans cet endroit? Elle n'en avait pas la moindre idée, mais l'idée d'un peu d'action accéléra son pouls et elle se précipita à la surface.

Après avoir parlé au capitaine, Lycia avait tenté de converser avec les matelots du navire, cherchant à glaner des informations au sujet de Kanaw, ou de l'étrange femme. Mais ses maigres efforts s'étaient soldés par des échecs cuisants : peu de matelots acceptaient de converser avec elle et, ceux qui acceptaient, n'avaient pas grand chose à dire. Déconfite, elle avait décidé de prendre un peu de repos tant qu'elle en avait l'occasion. Quand on était sur un bateau, et qu'on maniait une arme, il fallait se satisfaire des quelques heures de sommeil que l'on pouvait glaner par-ci, par-là.

Lycia avait fait un rêve étrange, incompréhensible et surtout... très apaisant. Elle suspectait bien évidemment Mii de lui avoir envoyé ce rêve, mais préférait mettre ça sur son inconscient. Quoique ce fut, cela la laissa si profondément endormie que, lorsqu'elle se présenta sur le pont, tout était déjà fini. Elle jura tout bas, et maudit son rêve de l'avoir empêché de participer à ce qui venait de se passer.

D'un autre côté, voyant le nombre d'hommes blessés, et morts, elle se félicita, honteusement, d'avoir dormi au lieu d'être venue se battre. Quelle puissance, combien d'ennemi y avait-il du avoir afin de terrasser tous ces braves? Elle, si courageuse d'habitude, cela lui donnait des frissons dans le dos.

Cherchant le capitaine du regard, elle ne rencontra que de pauvres âmes en quête de soin, de réconfort. Partout où elle posait le regard, ce n'était que désolation. Et les regards qu'on lui lançait lui faisaient froid dans le dos. Toute cette terreur ! Mais qu'avait-il donc bien pu se passer ici pour que ces hommes, si vaillants, soient dans un tel état?
Enfin, elle surprit le capitaine en train d'embrasser la jeune femme.
*Quelle attitude étrange pour un homme qui vient de se battre et voir ses hommes mourir sous ses yeux...*
Mais, n'ayant assisté au monstrueux combat, elle préféra laisser ses sentiments enfouis, et enfoui l'incompréhension au plus profond d'elle. Les questions attendraient.

Décidant de se moquer éperdument de la situation dans laquelle se trouvait son capitaine, elle alla à sa rencontre, afin de lui présenter des excuses pour son absence, mais également pour récupérer quelques informations. Après ces échecs de l'après-midi, il était certainement la personne la plus enclin à lui parler... et ce n'était vraiment pas gagné d'avance.

Arrivant au niveau des deux personnes, ne sachant s'ils avaient conscience de sa présence, elle toussota discrètement... avant de s'excuser :
"Mon capitaine, je vois qu'une bien sanglante bataille s'est déroulée sur le navire. Je vous pris d'accepter mes excuses quand à mon absence. Celle-ci est injustifiable et si je peux vous être utile, à présent..."
Cela faisait des lustres que Lycia n'avait pas lâcher autant de mots d'un coup, mais vu les circonstances, elle avait sincèrement pensé qu'un "Je m'excuse de ne pas avoir été là" n'était pas franchement le mieux approprié.

Soudain consciente qu'elle dérangeait probablement les deux jeunes gens, elle afficha un air penaud sur son visage, afin de masquer son agacement. Allait-elle enfin savoir ce qui venait de se passer? Ou bien allait-on la jeter par dessus bord pour avoir manquer à l'appel? A cet instant précis, elle n'aurait su dire avec certitude qu'elle dénouement elle aurait préféré.

A l’instant même où Lycia s’excusait de son absence, deux êtres comme ceux que les Corsaires avaient combattus se mirent à grimper sur le bateau. Personne n’eut le temps de réagir aux paroles de la mercenaire, que, déjà, des mains sales et trempées se posaient sur les bras de la Princesse, et la tirèrent en arrière. Et, toujours avec une même rapidité, les Hommes-Lézards l’emmenèrent jusqu’à l’eau, nagèrent, et atteignirent la terre ferme.

Là, ils étaient bien plus nombreux. Une quinzaine, et les plus forts d’entre eux attachèrent la femme, avant de partir tous ensemble sur ces côtes mortes qui bordaient les fleuves infernaux. Bientôt, ils ne furent plus visibles, pour les marins de Punition Expéditive. Surtout que les eaux du Cocyte se mirent de nouveau à rugir, et à devenir inquiétantes, et meurtrières… Il était suicidaire de chercher à retrouver Eleanora.

[PS : la joueuse d’Eleanora ayant demandé à se faire enlever car elle sera absente, ce n’est pas la peine d’aller la rechercher.]

Eleanora était une étrange patiente. En effet, Kanaw n’était absolument pas habitué à voir quelqu’un qui ne réagissait absolument pas aux soins. Surtout quand ils étaient faits sans être arrosés de boisson. Bref, il n’allait pas s’en plaindre, non plus, et se laissa faire à son tour, quand la jeune femme lui demanda de se calmer, et de l’attendre.

Cela faisait trois fois, en très peu de temps, qu’il se faisait recoudre la main, à vif. Et cela était toujours aussi peu agréable, même si le sourire instinctif de Kanaw demeurait sur ses lèvres. Il croisa le regard que quelques uns de ses Corsaires, intrigués par la situation. Lui, il avait confiance en la Princesse, même si elle ne voyait presque rien. En effet, elle l’avait déjà soigné sans encombres, alors pourquoi pas une troisième fois ?

Et elle plongea son regard dans le sien, et lui sourit. Il se demanda pourquoi, mais n’eut pas le temps d’ouvrir la bouche, qu’elle l’embrassait. Bien sûr, ce n’était pas désagréable, mais il ne s’y attendait absolument pas. Tant et si bien qu’il plissa les yeux, le baiser terminé, après avoir récupéré le goût des lèvres de la Princesse sur les siennes. Que cherchait-elle ? A le déstabiliser ?

Pour les plus anciens de son équipage, cela était parfaitement normal, que le Capitaine embrasse quelqu’un, quelle que soit la situation. Ils le connaissaient pour ce qu’il était, charmant, et charmeur, mais sans cœur au sujet des femmes. Il était pourtant bien connu pour son intérêt porté aux membres de son équipage, et même s’il était manipulateur, et s’il avait trahit sa famille, certains ne demandaient pas mieux qu’à servir sous sa bannière, puisqu’il protégeait ceux qui lui étaient loyaux.

Il haussa un sourcil à la proposition d’Eleanora. Elle s’était donc rendu compte qu’il se posait des questions à son sujet. Très bien. Maintenant, il allait être franc, et les poser :

-Dis-moi… où as-tu appris à te battre comme cela ?

Sous-entendu : certainement pas en étant une princesse à la cour.

Il tourna le visage vers Erik, qui s’était avancé jusqu’à eux, et avait toussoté pour signaler sa présence. Il était vrai qu’une telle lame aurait été d’une bonne aide pour le combat. Et même s’il était occupé à dire des bêtises, le Capitaine avait remarqué l’absence de cet homme. Ceci dit, avant même qu’il ne puisse lui répondre, la Princesse passait par-dessus bord.

Le Croc Noir fixa les êtres qui avaient enlevé Eleanora. Et visiblement, ils ne comptaient pas la tuer. Cependant, Kanaw n’eut pas le temps de se poser beaucoup de questions : sentant la colère monter, peut-être au sujet de son incapacité à protéger une femme, mais tout aussi probablement pour la perte du chemin le plus proche vers la gloire ; il sut que ses yeux devenaient rouges et brillants. De toutes manières, il suffisait de croiser le regard des Corsaires les plus proches, qui se mettaient à paniquer, pour sentir le danger.

-Protégez-vous et on verra après.

C’était très probablement destiné à Erik, ce genre d’ordre. Et un minuscule instant plus tard, la musculature du Croc Noir se multiplia par cinq, arrachant son haut, et déchiquetant son bas. Ses yeux étaient devenus rouges et brillaient d’une lumière vive, et, par-dessus tout, il ne semblait plus y avoir une once d’humanité dans ce corps.

Il sauta au-dessus de la rambarde, pour plonger dans le Cocyte, mais il était déjà trop tard, et les flots se déchainèrent de nouveau. En temps normal, il aurait été perdu. Là, l’instinct lui dit rapidement qu’il ne pouvait pas nager jusqu’à la côte. Il fallait regagner le bateau, ou mourir. Et, bête et chasseur, il nagea vers le bateau, contre les courants et les vagues, disparaissant de nombreuses fois sous les flots, et manquant souvent de peu de se noyer.

Cela prit quelques minutes, et, dans le bateau, il était difficile de savoir qui avait peur pour le Capitaine, ou peur qu’il remonte jusqu’à eux. Lorsqu’une main dessinée parfaitement par la force s’accrocha au bateau, et que le Croc Noir commença à grimper sans corde ni échelle, un frémissement parcouru Punition Expéditive. Kanaw grimpait vite, très vite, et ses yeux rouges et menaçants brillaient. Finalement, il atteignit le pont, épuisé par les vagues, et hurla tel un loup, tant et si bien que le Cocyte tout entier, malgré les vagues, résonna sous son cri. Et que ceux qui le connaissaient, sur les autres navires, devaient probablement reconnaître sa voix.

Deux Corsaires parmi les plus puissants au corps à corps bloquèrent le Croc Noir pendant le hurlement, attachèrent des chaînes lourdes et puissantes à ses poings ; chaînes qui étaient reliées au mât. Il y avait de fortes chances que cette installation qui était là depuis un moment, n’ait pour raison d’être que d’attacher le Croc Noir quand il était aussi en colère. Un des Corsaires valeureux qui avaient bloqué le Croc Noir fut blessé, cependant, recevant un tel coup aux côtes que plusieurs en furent cassées. Dans l’équipage, nombreux furent ceux qui disaient que c’était une chance que ces braves ne soient pas tués.

Les chaînes étaient très courtes, d’un mètre entre le mât et les poignets du Capitaine. Elles n’étaient pas forcément l’idéal dans une telle situation, parce qu’il avait l’air de plus en plus énervé, et grognait en fixant tous les Corsaires qui passaient devant lui, apparemment très affamé. Il était assis contre le mât, si lourd qu’il ne bougeait pas sous les gestes brusques de l’homme-bête, depuis qu’il s’était rendu compte qu’il s’épuisait plus qu’autre chose en se débattant contre les chaînes… et puis son regard se posa sur Lycia, s’y accrochant, comme s’il attendait un geste de sa part.

Invité

Kylian était monté à bord à la dernière escale. Il s'était fait viré du précédent bateau sur lequel il avait navigué parce qu'il n'avait pas réussi à sauver la main droite du Second. Une bien sombre histoire, en réalité. Il était à bord d'un corsaire que le pacte de non agression avec la marine et les pirates avait prodigieusement agacé. Pour quelle raison en vérité, Kylian l'ignorait, mais les faits étaient là.

Multipliant les imprudences pour capturer la créature aquatique devenue ennemi public n°1, le Capitaine avait fini par mettre son équipage et son bateau en danger. Et c'était le Second qui en avait payé les frais. Au cours d'une tempête, il avait tenté une manoeuvre désespérée pour sauver un membre de l'équipage, et avait été blessé à la main, gravement. Il y avait un médecin à bord, mais pour quoi faire, on se demandait ! Un homme, un vrai, n'avait pas besoin de soin, pas vrai ? Sinistre abruti ! Il avait laissé traîner cette blessure, et quand Kylian avait enfin été autorisé à y jeter un oeil, le mal était fait.

La gangraine avait déjà fait son sâle travail, et il avait fallu amputer pour sauver le bonhomme. Le Capitaine était alors entré dans une rage noire, et Kylian avait bien failli être passé par dessus bord. Charmant ! Il avait finalement été débarqué dans la première rade venue, sans solde, évidemment. Aussi, lorsque le Punition était entré au port, il n'avait guère eu le choix, il avait demandé à parler au Capitaine Llyr et lui avait proposé ses services. A son plus grand étonnement, il avait été engagé, il n'y avait pas de médecin de bord. Le début du voyage avait été fort calme, il avait rencontré peu des membres de l'équipage, passant l'essentiel de son temps à l'infirmerie, à faire l'inventaire des remèdes qui s'y trouvaient dans un désordre incommensurable. Et puis, il y avait eu l'attaque des lézards...

Après avoir passé plusieurs heures au pont inférieur à secourir les premiers blessés, il monta sur le pont pour voir où en était la situation. Le calme semblait être revenu, sauf dans un coin d'où provenaient des cris de rage. Il s'approcha lentement, et découvrir le Capitaine enchaîné à un mat ! Ou plutôt... ce qu'il en restait, car celui qui se débattait en tous sens n'avait plus grand chose à voir avec le Capitaine Llyr. Médusé, il s'arrêta à quelques mètres, et dévisagea ceux qui l'entouraient. La plupart ne semblaient pas particulièrement choqués par la situation...

[HRP : le message risque d'être court... parce que je viens d'en faire un énorme pour engager le prochain sujet -__-. Désolée, je suis incurable.
EDIT : bah finalement ça va, c'est pas si court que ça XD]

Le regard rouge de Kanaw s'était posé sur le médecin, qui le fixait. En fait, il ne savait plus que c’était le médecin. Ne pouvant plus réellement contrôler ni ses actes, ni ses pensées, le Croc Noir voyait plus vraisemblablement un morceau de viande à écharper, ou quelqu’un qui pourrait le détacher, qu’un médecin avec un nom et une conscience.

Il ne fallait pas lui en vouloir. Dans quelques temps, il s’endormirait probablement, et oublierait tout ce qu’il venait de faire sous cette forme, ou presque. Seuls les actes les plus importants resteraient dans la conscience du Capitaine. Le reste serait des noms à ajouter à une liste de meurtres qu’il venait de faire sans s’en rendre compte, ou un mauvais moment passé accroché à un mât. Probablement la seconde solution, vu ce qu’il se passait.

Et puis, l’homme décida d’aller se reposer. Vraisemblablement, il n’y avait plus rien d’autre à faire à ses yeux, alors il s’endormit. Et au fur et à mesure de son sommeil, il reprit forme « humaine », pour finir à moitié nu, endormi près de son mât, paisible.

Ce fut à la fin du Cocyte qu’un des moussaillons osa le réveiller. Kanaw était encore un peu sous le choc de sa transformation, mais il prit la barre sans se poser plus de questions. Il fallait partir d’ici, le plus vite possible. Eleanora… et bien, soit il la retrouverait ailleurs, soit il enverrait quelqu’un pour l’aider. Dans la mesure où elle ne serait pas morte, bien évidemment. Et il y avait malheureusement bien des chances pour que la Princesse ne soit plus de ce monde. Il l’annoncerait à son beau-père quand il en aurait terminé avec le monstre, pas avant.

La traversée des Fleuves Infernaux se fit en six jours, pour les Corsaires. Les neuf jours qui suivirent furent occupés par le ravitaillement de Punition Expéditive et de ses marins, et la recherche du monstre qui devait être éliminé, Tianh.

[HRP : Punition Expéditive en direction de : Eidanihr]

Mary - devrait-on dire "Adam" ? - était et restait sur le pont. Les fleuves infernaux... ils portaient bien leurs noms. C'avait été un enfer de les traverser. Et c'en serait encore un pour revenir à la mer... sain et sauf ? Espérons-le. Elle ne pouvait pas encore mourir, juste en emportant un équipage de corsaires avec elle.
Les eaux du Cocyte étaient calmes, pour l'instant. Pour l'instant... qui, hormis un navigateur hors paire, aurait pu dire quand elles deviendraient violence ? Personne.
Elle arrêta de regarder l'eau, et vit les matelots s'affairer, sur le pont... sans doute devait-elle faire de même... elle se mit à travailler, à contrecoeur. Elle n'aimait pas la mer, ce bateau, ce travail...
Adam Read, en revanche, l'adorait. Quoi de plus agréable ? Sentir le doux vent sur son visage apportant les odeurs marines si fortes, si puissantes... se battre contre la mer, quel défi ! Et même si l'on savait le combat perdu d'avance, quel marin renonçait face aux océans ? Cette frayeur mêlée de respect et d'amour que tout marin avait pour les eaux... connaissait-on plus étrange sentiment ? meilleur sentiment ?
Assurément, à la question, Adam Read aurait répondu non ; Mary Bonny, elle, aurait répondu oui.
Là commence leurs différences. Par ailleurs, Mary Bonny et Adam Read n'ont que peu de points communs, mais en ont forcément, "Adam Read" ayant été créé de toutes pièces par Mary.
Mais passons.

Mary, donc, observait le fleuve sur lequel ils naviguaient, et prenait intérieurement des notes sur son cours, sur son calme, sur sa surnature en tous points...
Adam paraissait juste être en train de nettoyer le pont, tâche peut-être ingrate mais qu'il acceptait sans contradiction.

Tout semblait donc aller bien. Il fallait donc que quelque chose se passât ; cette chose, ce fut un son de cloches. Certains l'entendirent avant elle, d'autre après.
Instantanément, Mary s'arrêta de nettoyer le pont. Quelque chose n'allait pas. Ne pouvait pas aller. Un son de cloches, ici, à mille lieux de toute présence humaine ? Impossible. Et pourtant vrai.
Le son dura quelques instants, devenant de plus en plus sourd. Un vent violent apparut, projetant immédiatement Mary en arrière, la laissant à terre, ridiculement impuissante.
Et puis, le son, le vent, disparurent.
Laissant un grand silence sur le pont.
Les eaux étaient parfaitement calmes, semblaient ne pas même réagir à la présence du navire...
Mary se releva, et se rassura en passant la main sur la garde de son épée.
Epée qu'elle n'avait pas avec elle, puisque laissée dans la cabine.
Elle aurait pu s'en passer et se dire que "ce n'était rien", si un grand cri n'avait pas retenti à côté d'elle.
Apparurent alors, sautant depuis la mer (comment pouvait-on sauter depuis la mer ?), dix gigantesques lézards.
Manque de chance, sans doute, ils venaient de sauter juste à sa droite. Ils étaient à à peine sept mètres. Et, rappelons-le, Mary n'avait pas son épée.

- Merde...

Un des lézards jeta sa lance, qui fila et vint se planter sur un des corsaires. Le corsaire se rapprocha, porta un coup à la créature, et mourut, avalée en un rien de temps par le lézard.
Les autres créatures commencèrent alors à se disperser, portant des attaques contre plusieurs corsaires.
Deux options s'offraient alors à Mary :
- Elle pouvait aller chercher son arme, qui était probablement restée dans sa cabine.
- Elle restait ici, sans arme, juste à côté des créatures.
Le choix était simple et la décision rapide à prendre ; Mary courut, voulant rejoindre les cabines, quand un lézard s'interposa, abattant son arme sur Mary. Dans un réflexe salvateur, l'adolescente leva les bras et ferma les yeux. Elle ressentit aussitôt la vive douleur du bâton frappant un os, mais au moins était-elle en vie.
Elle rouvrit les yeux, et aperçut Kanaw à terre, une lance plantée dans sa main.
Malgré l'affolement de la situation, de sa situation en l'occurence, Mary ne put s'empêcher de sourire. Eh bien, "Croc Noir" s'était fait avoir ? Si simplement... Si c'était le cas, tant mieux ! Cela lui en ferait un de moins à supprimer...
Elle revint vers le lézard, qui, d'une rapidité surprenante, s'était déjà mis sur sa gauche, et Mary sentit à nouveau une douleur. Mais cette fois, ce n'était plus la douleur lancinante du bois contre son os, non. C'était la douleur vive et aiguë de la lance qui transpercait sa peau, ses veines, ses artères, et ce à l'épaule. Quelques centimètres de plus et c'était la mort assurée.
Cela dit, la mort était tout aussi assurée si elle continuait à être aussi distraite, et surtout, si elle n'agissait pas instantanément.
Elle esquiva donc un deuxième coup en reculant d'un pas sur le côté, et continua ainsi à s'enfuir jusqu'à se retrouver acculée au mur ; c'était plonger dans la mer ou mourir de la lance du lézard.
Elle ne savait pas nager.
Ne restait plus qu'à affronter son ennemi...
Plusieurs stratégies défilèrent aussitôt dans le cerveau bouillonnant de la corsaire, prenant en compte qu'il était plus fort que lui, beaucoup plus rapide, mais moins souple, et probablement beaucoup moins intelligent...
Un sourire à peine humain se dessina sur la face exécrable du lézard.
Elle n'avait pas d'arme, il avait une lance, à portée longue donc, elle avait juste un poison, à peine de quoi le paralyser un instant...
Il abattit sa lance, la gardant toutefois en main. Mary se courba, évitant de peu l'arme, et planta ses ongles comme elle pouvait là où était censé se situer le coeur du monstre. Pourquoi le coeur ? simplement parce qu'elle n'était pas assez grande pour aller jusqu'à la gorge.
La tactique, quoiqu'un peu désespérée, sembla marcher. La peau du lézard s'effrita rapidement, et, à travers la coupure d'à peine un centimètre, elle envoya autant de poison qu'elle pouvait en injecter.
Le lézard demeura ainsi, paralysé, quelques instants.
Mary, à bout de forces, mais sachant que se jouaient les derniers instants du combat, prit la lance des mains du monstre. Elle était également enduite de son poison...
Elle n'eut cependant pas le temps d'achever le lézard, ou de le blesser, peu importe, puisqu'une rapière se planta dans le dos du monstre, le transperçant totalement. Elle y resta quelques instants ainsi, puis, le lézard s'effondrant, se retira.

Toutes les créatures étaient vaincues, fut la première constatation de Mary. Alors, étant maintenant hors de danger, elle s'effondra, toujours acculée contre le muret.
Elle manquait toujours de force, oui... en réalité, elle avait bien failli mourir...
D'ailleurs, est-ce qu'elle ne mourrait pas ? Le sang coulait toujours, goutte par goutte, de sa plaie, qui bien que peu profonde n'en restait pas moins très dérangeante.
Elle refusa tout soin, assurant qu'elle allait bien.
De toute évidence, ce n'était pas le cas. Elle craignait juste de devoir révéler sa nature sexuelle si elle se faisait soigner...

C'eût pu être bien suffisant à la petite Mary, mais, apparemment, quelqu'un avait décidé que ce ne l'était pas ; car la femme, qui s'était battue à côté de Kanaw, se fit enlever peu après. Evidemment, Mary s'en fichait royalement. En revanche, voir le capitaine des corsaires se transformer en loup et changer du tout au tout comme cela, elle s'en fichait beaucoup moins.
Et elle se rendit également compte de sa faible puissance par rapport à lui.
Ce n'était pas tout. A un moment, parmi les nombreux regards que Croc Noir jetait aux membres de son équipage, leurs yeux se croisèrent.
Un frisson parcourut son échine, la rendant froide et blême. Ses yeux s'échappèrent au regard insoutenable de Kanaw.

Cet homme lui faisait peur...

[Suite dans Eidanihr, En Mer, tout ça.]