Eidanihr [Automne]

[HRP : ce qui se fera dans ce sujet marquera la fin du premier chapitre. Pour vous donner une idée, l'île est marécageuse, les pieds s'enfoncent dans la boue, ça ne sent pas super bon, et il n'y a ni arbre vert, ni colline... juste des arbres morts]
[HRP : Punition Expéditive vient de là]

« Sprotch ! »

Kanaw Llyr venait de sauter sur la terre ferme. Ceci dit, la raison d’un tel bruit sous ses pieds, c’était que la terre n’était pas aussi ferme que prévue.

-Merde, je venais de me faire faire des bottes de première qualité !

Comment le Capitaine des Corsaires en était-il arrivé là, c’était plutôt long à résumer. Mais essayons : après avoir piqué une crise de rage sur son bateau sur le Cocyte, il s’était emmuré derrière son regard flamboyant et son sourire ironique, comme si de rien n’était. C’était un peu sa spécialité. Et il avait de la chance que la plupart des gens de son bateau lui soient fidèles, au final. Il fallait cependant souligner que c’était pour leur fidélité qu’ils étaient choisis… et aussi parce qu’ils étaient excellents.
Ensuite, il avait gentiment guidé l’équipage de Punition jusqu’à la sortie des cinq Fleuves, sans dormir, et en battant ses propres records de vitesse. Il était fort probablement soucieux du sort d’Eleanora, mais nul ne savait réellement pourquoi il s’inquiétait pour une femme. En effet, il était plutôt bel homme, il avait des facilités avec les êtres féminins, et semblait avoir perdu quelque chose d’important avec Eleanora.
Restait à savoir ce qui pouvait être important pour Kanaw Llyr.
Il avait fait escale sur Eithlenn, autant pour se ravitailler que pour reprendre quelques hommes. Pas d’autres bateaux, certes, mais il lui fallait une troupe conséquente. Il avait envoyé une lettre au Roi, pour l’informer que pour l’instant, la mission se déroulait comme prévu, et comme il l’avait promis… Fort d’informations sur la potentielle base du monstre, le Capitaine avait dirigé Punition Expéditive vers une île peu habitée –qui ne devait plus l’être du tout après l’attaque d’un monstre-, qui s’appelait Eidanihr. Deux barques furent détachées du bateau, pour faire le tour de l’île, et voir si le monstre était dans l’eau. Il advint que l’ennemi était sur les terres, sur cette île désolée où nul arbre ni colline ne paraissait.
Le monstre était appelé Tianh [HRP : et sa description et son image sont dans la Vigie] par les civils. Le Croc Noir ordonna à sa troupe de débarquer sur l’unique plage d’Eidanihr, sur le flanc nord-ouest de l’île. Il n’y avait encore personnes. Rapides, les Corsaires étaient les premiers arrivés.

Et Kanaw avait sauté de la barque en premier, comme pour faire face au danger dès la première ligne. Du coup, il était le première à se rendre compte que le terrain était plutôt difficile… et salissant. Son problème, c’était qu’il avait acheté pour l’occasion des nouvelles bottes de cuir fourré, noires, pour aller avec sa tenue actuelle : un pantalon noir, un t-shirt noir avec le signe des Corsaires sur son torse, et un long manteau noir. Sur sa tête, pour retenir ses cheveux, il portait un bandeau, noir bien évidemment, possédant lui aussi le sigle des Corsaires.

Si le Capitaine était riche, il se payait avant tout des parures impressionnantes, pour s’afficher avec la classe d’un potentiel héritier du Roi. Potentiel héritier qui venait de perdre son chemin vers le trône, ce qui était des plus gênants. Cependant, avec ou sans la royauté, Kanaw Llyr voulait briller comme un Capitaine. Il n’était pas bien grand, même plutôt petit par rapport à ses marins, mais cela ne l’empêchait pas de se montrer « magnifique », sous les deux sens du terme. Ceci dit, les avis à ce sujet étaient fort probablement partagés.

Le reste de l’argent personnel de Kanaw Llyr se dépensait, pour les curieux, dans les tavernes mal famées, auprès des filles de joie. Chacun ses occupations.

Cependant, revenons à l’accostage des barques de Punition Expéditive. A cet instant fatidique où le Capitaine du bateau venait de tacher ses bottes, et de jurer, en s’en rendant compte.

-Bon, tout le monde sur terre.

D’un geste de la main, il ordonna à tous les Corsaires de son navire de mettre pied à terre. Puis il en montra quatre du doigt, un peu au hasard.

-Vous quatre, je vous annonce que vous êtes volontaires pour garder Punition Expéditive. Si le bateau n’est plus là, quelle qu’en soit la raison, je vous poursuivrai jusqu’aux Enfers… que ce soit dans les fleuves, ou dans la mort.

Le Croc Noir fixa les marins désignés pour la garde du bateau, qu’il avait menacés avec un grand sourire ironique, puis se tourna vers ceux qui étaient à terre.

-Bien, il va me falloir vous en dire plus sur ce qu’il va se passer. Vous n’êtes pas sans savoir que des monstres apparaissent, comme ceux que nous avons vus sur le Cocyte, et ont une légère tendance à tuer les êtres humains. Ces monstres-là, nous ne savons pas pourquoi ils sont ici, mais nous savons qu’ils polluent nos mers, et qu’ils nous veulent du mal… Nous avons ordre du Roi de les terrasser, mais sachez que je serais parti à leur poursuite, avec ou sans l’accord de notre souverain. Quoiqu’il en soit, notre commanditaire a la gentillesse de nos proposer une somme d’argent très intéressante, si nous lui ramenons la tête du monstre.

Kanaw Llyr croisa les bras.

-Cependant, je vous l’ai déjà annoncé, les Pirates et les soldats de la Marine sont nos… alliés. C’est là la volonté du Roi. Et la mienne, car aussi puissants soyons nous, nous ne sommes que trop peu pour vaincre cet adversaire. Notons cependant que je compte sur vous pour obtenir la tête du monstre, et ne la laisser à personne des deux autres camps. Nous sommes alliés, oui, mais il y a des limites… Au passage, le premier qui tuera quelqu’un de l’autre camp engagera une guerre entre nos trois troupes. Je n’ai pas envie qu’il y ait un carnage dans mes rangs, mais si le monstre décime suffisamment les équipes de nos alliés, que nous sommes vainqueurs, et en surnombre, vous avez l’autorisation de tuer ce qu’il reste des Pirates et des soldats de la Marine… sauf la Capitaine des Pirates, que vous m’amènerez vivante. Merci de votre attention.

Il leur décocha un grand sourire amical, se tut un court instant, en fixant les flots, puis ajouta :

-Attendons au moins le prochain bateau, avant de nous enfoncer dans ces marécages. Il nous faudra un plan d’attaque un peu plus complexe que d’entourer l’ennemi avec les bateaux, étant donné que nous sommes sur terre. Si vous avez des questions, ou des propositions…

Le Capitaine des Corsaires parcourut sa troupe du regard, avec son sourire habituel, cachant le moindre de ses sentiments derrière son air vaguement ironique. Il ne restait plus qu’à attendre que quelqu’un dise quelque chose. Ou qu’un bateau arrive…

Invité

Personne n'avait daigné expliquer à Kylian quel était le problème du Capitaine, si problème il y avait bien sûr. Il avait débarqué à l'improviste sur le pont au cours de l'une de ses transformations, pas belle à voir il fallait bien le reconnaître, et toutes ses connaissances en médecine ne suffisaient pas pour expliquer ce qui s'était passé sous ses yeux. Une bonne partie de l'équipage semblait au courant, et ne pas s'en formaliser, mais pour Kylian, médicalement parlant, c'était une histoire de fou qui rejoignait les légendes !

Au cours de la nuit qui avait suivi, Kanaw Llyr avait repris forme humaine, la crise étant passée. Mais pour le médecin, cela demeurait un mystère qui restait sans cesse à l'arrière-plan de son cerveau. C'était d'autant plus vrai que personne n'en parla durant les jours que dura leur traversée jusqu'à Eidanihr. Il avait couché par écrit ses premières constatations dans son journal de bord, qu'il avait ensuite soigneusement remisé dans sa cachette. Mieux valait éviter que n'importe qui tombe là-dessus ! Mais il ne pouvait s'empêcher d'observer le capitaine à la dérobée, et il craignait qu'il finisse par s'en rendre compte.

Lorsqu'ils jetèrent l'ancre à proximité de l'île, son rôle de médecin l'obligea à se rendre à terre avec une bonne partie de l'équipage. Rares étaient ceux qui resteraient à bord pour surveiller le navire, et en réalité, il ne tenait pas à en faire partie. Il dissimula un sourire au beau discours de Kanaw, amusé par son attitude. La majorité de l'équipage était très jeune, et Kanaw ne faisait pas exception à cette règle. Kylian avait eu plus que le temps d'observer la nature humaine et les hommes, et il sentait que son capitaine jouait un rôle au profit de ses hommes, la plupart du temps. Il ne se demandait pas dans quel but, il comprenait que dans sa position, c'était sans doute indispensable.

Il baissa donc le nez sur ses hautes bottes pour dissimuler son demi-sourire, puis il hocha la tête d'un geste bref pour signaler qu'il avait bien compris les ordres. La marine... Les pirates ne l'inquiétaient pas vraiment, mais la marine, c'était une autre histoire. Il avait peur de ses propres réactions s'il venait à rencontrer l'un des hommes qui avaient assassiné son enfant... Il ne parviendrait pas à se maîtriser, aucune chance ! Restait juste à espérer que ce ne soit pas le cas. Il chassa ses pensées pour regarder autour de lui. Ils se trouvaient dans une espèce de marécage où les bottes s'enfoncaient jusqu'aux chevilles. Il risqua une suggestion.

- "Sans parler d'attaquer, Capitaine, ne devrait-on pas risquer une petite expédition de reconnaissance ? Ne serait-ce que pour savoir où l'on va mettre les pieds. Et puis, ça nous donnerait peut-être une longueur d'avance sur les autres..."

Il eut un coup d'oeil éloquent pour les bottes flambant neuves de Kanaw, à présent toutes crottées. S'ils s'enfoncaient tous dans les marécages en même temps, autant pour l'effet de surprise. La créature aurait le temps de les voir venir, et de loin. Alors qu'en petit comité, ils avaient plus de chances de la débusquer discrètement, de repérer sa tanière. C'était sans doute plus risqué aussi, mais on n'avait rien pour rien ! Connaissant à peine Kanaw, il ne savait trop comment il allait réagir à son intervention, mais au moins après ça, il serait fixé.

Comment s'appelait-il, déjà, celui-là ? Ah oui, Kylian. C'était "le médecin", dans la tête de Kanaw, et il n'avait pas franchement eu le temps de lui parler. Il avait eu besoin d'un médecin avant de partir dans le Cocyte, celui-là s'était présenté, il savait aussi se défendre... bref, cela suffisait amplement au Capitaine des Corsaires. Ceci dit, il était vrai qu'avec tous ces événements, il n'avait pas songé une seule fois à prendre un verre avec lui, pour faire plus ample connaissance. Il le ferait, s'ils survivaient à cette attaque de monstre, bien évidemment. Au moins, il fallait reconnaître que Kylian avait du cran.

Certains Capitaines apprécieraient mal que des gens prennent non seulement l'initiative d'avoir quelque chose à redire des plans des missions. Le Croc Noir ne basait pas son autorité sur la crainte. Bien sûr, les plus anciens sur le bateau le savaient cruel, et parfois moqueur. Cependant, il agissait toujours avec son sourire, et aimait que les Corsaires à ses ordres prennent des décisions. Comme cela, le jour où ils quitteraient Punition Expéditive, ils pourraient réfléchir d'eux-mêmes, et servir les Corsaires avec intelligence.

Il fallait dire aussi que Kanaw était soucieux, certes, mais de bonne humeur. Alors... il s'avança vers le médecin, qui faisait bien plus d'une tête de plus que lui, avec son sourire habituel. Certains firent un pas de côté, pour éviter de se prendre un coup de fouet. Ce qui était toujours possible, avec le Capitaine des Corsaires. Pourtant, au lieu de torturer le pauvre Kylian, le Capitaine lui donna une tape amicale dans le dos, et s'exclama :

-Toi, je t'aime bien !

Finalement, peut-être aurait-il mieux valu se faire fouetter.

-Ton idée est intéressante, mais il nous faut réfléchir. Il me faut un groupe de volontaires, au maximum trois, qui serait capable d'aller discrètement voir le monstre pour récupérer des informations. Tout ce que vous pouvez savoir nous est intéressant... Et si au bout d'une demi-heure, vous n'êtes pas revenus, je jugerai que vous êtes morts, et ne vous attendrai plus. Et j'aimerais que vous ne soyez repérés ni par les Pirates, ni par la Marine.

Il posa sa main droite, la gauche étant dans un bandage, sur l'épaule du médecin.

-Kylian, mon cher, je ne sais pas si c'est très stratégique de t'envoyer dans ce genre de mission. Tu es le seul médecin qui me soit disponible, et je n'aime pas envoyer mes médecins en éclaireurs. La dernière fois, ça a plutôt mal tourné. Cependant, c'est encore toi le maître de tes actes, et comme tu es celui qui a évoqué cette idée, si tu y vas, tu seras chef de l'expédition...

Le Capitaine sourit à l'homme qui était à ses côtés. Comment allait-il réagir à ce genre de proposition ? Les yeux flamboyants du Croc Noir, qui n'exprimaient rien, le fixaient, attentifs... Etait-il, par un pur hasard, en train de tester son médecin ?

Lycia regarda la terre où ils avaient posé pied avec dégoût. Des marécages... l'un des endroits qu'elle abhorrait le plus au monde, avec certainement les grandes plaines désolées, désertiques et glaciales. Mais ce n'était pas le moment de fléchir, ou de laisser transparaître son inconfort. Oh non, surtout pas après ce qui venait de se passer...

Les souvenirs de Lycia, quant aux événements survenus sur le navire quelques jours plus tôt, restaient très confus, très vagues, comme si, une fois de plus, cela n'avait été qu'un rêve, une imagination de son esprit délirant et fatigué. Mais, malgré les aléas de ses souvenirs, Lycia gardait une image très nette, si nette qu'elle jurait avec le reste de ses pensées : son incapacité à réagir.

Tout s'était enchaîné si vite ! A peine avait-elle adressé ses quelques - pitoyables - mots d'excuses au capitaine que sa compagne se faisait emporter loin dans le fleuve et que le capitaine, soudainement métamorphosé, plongeait à sa suite. C'était certainement cet acte qui avait laissé la jeune femme dans une espèce de catatonie.

Incapable de bouger, incapable de penser, elle avait assisté, impuissante, au retour du Capitaine et à son enchaînement, sans lever le petit doigt, ne faisant même pas attention à l'espèce de regard que ce dernier lui avait, peut-être adressé. Ou bien cela encore faisait-il partie de ses souvenirs vagues, qu'elle ne savait attribuer avec conviction à la réalité... ou au délire.

Quoiqu'il en soit, la métamorphose du Capitaine l'avait laissé dans un tel état, qu'il lui avait bien fallu deux jours pour s'en remettre. Encore aujourd'hui, elle n'arrivait pas à se rappeler ce qui l'avait poussé dans un tel état. Chose étrange car, à l'inverse, elle avait la désagréable sensation que, sur le moment, elle savait parfaitement pourquoi cet acte, qui avait terrifié tout le monde, l'avait elle rendu totalement impuissante.

Ce fut pourquoi, sur cette terre marécageuse, une fois de plus, elle s'immisça - silencieusement - dans la conversation entre le Capitaine et, semble-t-il le médecin de bord. Trop honteuse pour avouer sa faiblesse des jours passés, elle était plus que jamais décidée à laver son honneur.

Alors que les deux hommes parlaient, elle se rapprocha, sans se dissimuler, pour se tenir finalement au côté du médecin, attitude signifiant clairement :"Si vous avez besoin d'homme pour cette expédition suicidaire, prenez-moi, je vous en prie."

Invité

La réaction de Kanaw ne se fit pas attendre ! Et Kylian se fit la réflexion qu'un jour peut-être, il apprendrait à la boucler, mais que ce n'était sans doute pas pour tout de suite ! La grande claque qu'il reçut dans le dos n'augurait rien de bon, et le joli discours qui suivit ne valait guère mieux. Kyle découvrait que le capitaine savait manier l'ironie, en paroles mais aussi en actes. Le fait d'envoyer trois volontaires en éclaireurs n'avait rien d'aberrant aux yeux du médecin. En revanche, le délai imparti n'avait pas de sens, sans parler du choix du chef de l'expédition !

Fixant ses hautes bottes crottées, Kylian se garda pourtant bien de la ramener, ça n'aurait fait qu'empirer les choses, et il n'était pas non plus tout à fait suicidaire. Il écouta attentivement tout en réfléchissant. Une demie heure... De toute façon, Punition ne quitterait pas cette île avant l'arrivée des renforts, Kanaw l'avait plus ou moins dit lui-même. Il attendait les autres navires avant de parir en chasse. Donc au moins de ce coté là, ça ressemblait bien à une menace en l'air, un test. De la même manière, il y avait peu de chances qu'ils se fassent repérer par qui ce soit étant donné qu'ils étaient seuls sur l'île, mise à part la créature. Mais là, Kylian pouvait comprendre les raisons de son chef, inutile de montrer d'emblée aux pirates et à la marine qu'ils avaient l'intention de jouer aux plus malins, autant rester aussi neutre que possible, et ne pas dévoiler ses cartes.

Après ces quelques instants de réflexion, Kylian releva les yeux, et les plongea dans ceux de Kanaw. Il se sentait en mesure de lui prouver qu'il pouvait lui faire confiance, ne serait-ce que pour obéir aux ordres. Il hocha la tête sereinement.
- "Bien Capitaine, à vos ordres. Nous ferons au plus vite, et tacherons d'être aussi discrets que possible, c'est compris."

C'est alors qu'il remarqua un jeune homme à ses cotés. Vaguement surpris, il le dévisagea. Il l'avait aperçu à plusieurs reprises sur le bâteau ces derniers jours, mais ils s'étaient contentés de se saluer de brefs hochements de tête. La manière dont il avait fait un pas en avant laissait à penser qu'il était volontaire pour l'accompagner. Il haussa un sourcil, comme pour l'interroger sur ses intentions. Avait-il quelque-chose à prouver ? A moins que ce ne soit par pur amour de l'aventure ? Quoi qu'il en soit, si il voulait venir, il n'y voyait pas le moindre inconvénient quant à lui, mais le capitaine souhaitait sans doute choisir lui-même les hommes qu'il allait exposer...

Son air résolu avait quelque-chose de touchant, et lui donnait l'air très jeune, mais il ne fit pas le moindre commentaire à ce sujet. De quoi se serait-il mêlé ?! Il se contenta de lui sourire, avant de se tourner vers Kanaw et de poursuivre.
- "Dès que vous aurez désigné les autres membres de l'expédition, monsieur, nous nous mettrons en route. Il semble que nous ayions déjà trouvé le second volontaire..."

Kanaw sourit, de son air si enfanntin, si malicuex, et si ironique. Cependant, aux yeux des membres de son équipage, il n'avait aucune réaction particulière, en voyant le bretteur qu'il avait engagé se présenter pour s'occuper de la mission. Et il ne sembla pas plus heureux, ni plus embêté, en apprenant que le médecin était volontaire -suivant ou non les pensées du Capitaine, c'était difficile à savoir- pour diriger la mission.

-Pour une fois, je n'ai pas à désigner mes volontaires... C'est plaisant.

Quelqu'un d'audacieux, ou de dément, pourrait faire remarquer au Capitaine des Corsaires qu'un volontaire était, par définition, désigné par sa propre volonté, et pas par celle d'un autre. Ceci dit, rares étaient ceux qui voulaient prendre la peine de contredire quelqu'un comme le Croc Noir. Même s'il se montrait très souvent charmant, cela ne l'empêchait pas de laisser voir son côté cruel, parfois. Des restes de son éducation, vraisemblablement.

-Soit, je vous remercie, tous les deux. Si je vous demande d'être vifs, c'est pour éviter que votre départ soit remarqué. Je compte aussi sur vous pour ne pas vous faire voir pendant votre retour. Vos informations ne devraient être connues que par les Corsaires... Ce n'est pas la peine d'informer aussi nos ennemis.

Il posa sa main sur l'épaule de celui qui s'était présenté à lui comme étant "Erik". Avec ce même air volatile, il lui dit, d'une voix pourtant sombre :

-Il est temps de faire vos preuves, mon cher. Vous avez ordre de protéger le médecin... Et je tiens à vous faire remarquer que je préfère vous voir revenir bredouilles, que d'apprendre vos morts. N'hésitez pas à fuir, si c'est la meilleure stratégie.

Le Capitaine fixa les deux hommes, semblant réfléchir de manière intensive. Il se gratta le menton, un très court instant, puis soupira :

-Je ne vous connais que peu, mais je crois que vous êtes complémentaires dans vos façons de vous défendre. Vous pouvez y aller seuls.

Le Capitaine Llyr se retourna vers les flots, et les observa, d'un air pensif. Visiblement, il voulait donner l'impression d'attendre les deux autres Capitaines. A moins que ce ne soit quelqu'un d'autre... Il secoua négativement la tête, chassant des pensées qui l'énervaient. il en avait déjà assez de se torturer au sujet de sa soeur, ce n'était pas la peine de se rajouter des soucis avec cette Princesse capricieuse et meurtrière. Il y réfléchirait plus tard ! Quelqu'un qui ne portait aucun intérêt à ses désirs n'était pas quelqu'un d'intéressant.

Il se frappa la tête, toujours avec ce sourire inexpugnable, lorsqu'il pensa qu'Eleanora Montgomery n'écoutait certes pas ses désirs d'hommes, mais savait faire écho à ceux de Capitaine.

Il ne faudra pas longtemps à l'équipage du Tourment Ailé pour se retrouver à destination, avec un peu de retard, certes mais qui osait attendre d'Erwana qu'elle se montre intransigeante quand il s'agit de règles ou d'ordres? Les immenses voiles noires du gigantesque navire du Capitaine des Pirates avaient pu se voir à l'horizon des heures avant d'arriver à la hauteur du bateau des Corsaires.

Erwana avait reprit les commandes, à la barre, portant avec grande classe son tricorne et le vent, modéré, chariait son long manteau. S'étant préparée à un combat, elle avait fait de ses très longs cheveux une immense tresse, de laquelle s'échappaient quelques petites mèches, épars sur son visage pâle. Si d'ordinaire on avait d'elle une impression de méchanceté, et seulement cela, ici il y avait quelque chose dans son regard, une lueur aventureuse, presque satisfaite, probablement à l'idée de se battre.

Erwana adorait se mettre elle-même à l'épreuve, en tant que Capitaine pour commander son équipage mais aussi en tant que femme, une combattante hors pair, ce dont elle était le plus fier probablement... D'avoir réussi, dans ce monde d'hommes, à se hisser en haut de tous, et d'être cette "guerrière" qui n'a peur de rien. Ou en tout cas, elle n'avait jusque-là jamais montré aucun signe de faiblesse face à ses ennemis... ou ses amis.

Quand ils furent arrivés à proximité du bateau des Corsaires, le regard du Capitaine des Pirates se posa sur le pont, distinguant la silhouette de son frère jumeau tant détesté. Sans tourner le visage vers son Second, elle dit alors :

-Tenez vous prêts, et soyez toujours sur vos gardes. On ne peut pas faire confiance à des Corsaires, ni à personne d'autre d'ailleurs. Je ne tiens pas à voir mon équipage et surtout ma réputation de Capitaine attaquée voire détruite.

Invité

Jesha Milandreze, dernier en date des rejetons de la Maison Milandreze – Si l'on soustrait de possibles demi frères nés ou à naître dans le petit personnel – se tenait accroupi entre deux roches à l'aspect granitique, et ce pour plusieurs raisons.

La première est que la boue qui faisait de cette île un tas de morve ne montait pas jusque sur la pierre et qu'il pouvait s'y tenir séant sans plus encore prendre d'allure crasseuse.

La seconde est qu'il pouvait, à l'abri des regards, observer le débarquement d'un équipage de mariniers, armés de pied en cap pour la bataille.

Le jeune homme fit la moue d'un air mécontent et se mit à jouer quelques instants avec l'un des colliers d'herbe qui cerclaient son tour de cou, son biceps droit et son poignet, du même côté. Accessoirement, avant de ne réfléchir plus loin, il vérifia que sa poche gauche contenait encore quelques feuilles de fougères exédentaires.

Il compta mentalement que son herbier fut bien en place et se reconcentra sur les Corsaires.

Corsaires, forcément... Par élimination.

Ils ne portaient pas d'uniformes et n'appartenaient donc pas à la marine régulière.

De même, aucun d'entre eux ne semblaient complètement aviné, saoûl ou en train de faire les poches de son voisin, ce qui excluait une razia pirate sur cette roche perdue...

- « Hum... Et nous... que sommes nous venus y faire... Une expédition botanique... sur ce tas de boue... on n'a pas été déçu... quant à l'aspect zoologique... ce fût... Ah... » se dit il en silence.

Il se massa le menton en tant de remettre en place les dires du Docte en Zoologie, ce qui était plus simple que de remettre les morceaux de son corps après le passage de la Créature.

- « Diantre ! Chers Confrères ! Nous entrons dans les Livres d'Histoire ! » se dit Jesha en se faisant un masque de cire sur ses traits... Finalement... La Bête en avait juste assez laissé pour rentrer dans une enveloppe... Bref.

Il nota ses problèmes de concentration comme marque de sa fatigue croissante, les derniers jours n'ayant pas été des plus reposant... S'emparer d'une barque, fuir le fort du combat, se mettre à l'abri sur une île – Il faillit rompre le silence d'énervement – bouseuse qui s'était au final avéré être le repaire de leur prédateur.

Et voilà qu'un navire Corsaire se montrait, suivi d'un autre Bâtiment.

Jesha fit la moue, pour la seconde fois, sentant que la migraine menaçait de le cerner.

Deux hommes semblaient se détacher du groupe, possiblement des éclaireurs ou des types ayant une envie pressante.

- « Premier impératif... Quitter cette île au plus vite... » se dit il, résolu à se dévoiler. Juste avant, il prit néanmoins le temps de vérifier de quelques oeillades prudentes que son employeur ne l'ai suivi jusqu'ici.

Puis, le plus simplement du monde, tel le jouet de bois émergeant de sa Boite, il se leva.

Sa stature émergea rapidement de l'arrière des roches.

Pour voyager rapide, il s'était astreint à voyager léger, laissant la plus grande quatité du matériel au lieu de camp choisi quelques jours plus tôt.

A son côté gauche, une sabrière à la garde bronze mât pendait sobrement alors qu'un jeu de lacets de cuir laissait pendre un pistolet à canon court au niveau de son rein droit.

- « Espérons que la poudre n'en soit pas trop humide pour s'enflammer en cas de besoin » se dit il en présentant un sourire qu'il estima des plus avenants et en présentant ses mains en l'air, paumes ouvertes en signe de conciliation.

Ses vêtements avaient vécu et paraissaient avoir connu de meilleurs jours qu'ils ne gouteraient plus jamais. Un haut qui avait du être blanc zébré de striures sales et dont quelques accrocs laissaient à penser à quelques coups de coutelas mal portés. Pour la plupart néanmoins, car quelques taches sur son côté gauche indiquait une récente blessure.

Son bas était plus sombre et s'achevait sur de légères bottes.

Il se hissa sur les roches, afin de conserver une assise confortable, les corsaires n'étant pas connu pour la qualité de leurs réflexions – trop courtes, ils tiraient à vue, trop longues, ils se disputaient comme des chiffoniers pour savoir qui pourrait s'emparer du butin avant même de le chasser – et se permit de nouveau d'offrir un sourire qu'il espérait avenant.

Enfin... n'étant pas habitué à l'exercice... Il ne pouvait qu'espérer se montrer convainquant.

Personne ne pouvait le savoir, mais lorsque Kanaw vit le bateau de sa soeur s'approcher du sien, il fut pris d'un doute. D'un sentiment de défaite, au fond de son coeur, et il eut envie de crier à Erwana de partir d'ici, immédiatement. Cependant, plusieurs avis se batailllaient en lui, comme d'habitude, et c'était à celui qui crierait le plus fort... et au fond du chaos qui l'habitait, il y avait deux besoins qui se faisaient face : celui de protéger Erwana, et son amour du pouvoir.

Et encore, c'était fort résumé, comme situation. Après tout, Kanaw lui même ne semblait pas savoir s'il haïssait sa soeur, ou s'il avait des sentiments normaux de frère envers sa jumelle. Ce jour-là, quand tout s'était joué, avait-il trahit ses parents, ou sauvé sa soeur ? Pourquoi avait-il agit ? Et, au final, le savait-il au fond de lui ?

Avec le Croc Noir, il était vraisemblablement impossible de le savoir. Les membres de son équipage demeurés autour de lui ne voyait que leur Capitaine dans son état normal : souriant, ironique, avec un regard aussi mort que brulant. Rien de plus. Aucun moyen de savoir pourquoi, même si les Pirates étaient là, il fixait l'horizon comme s'il attendait quelqu'un. Car il vivait en ce moment-même le sentiment d'inquiétude tenace pour un être.

Un geste de la main, bref, vers un des responsables des cuisines du bateau, et le jeune homme déposa deux verres dans la main valide de Kanaw -puisque la main gauche était bandée et pendait sans vie au bout de son bras-. Le marmiton tenait une bouteille de vin qui, d'après le signe soufflé dans le verre, venait de Leviaz.

-Fais-moi donc goûter, gamin.

L'adolescent servit un fond de verre à son Capitaine, l'air un peu craintif, et le regarda goûter le liquide rouge dans les règles de la bienséance. Sauf que Kanaw prit soin de cracher la gorgée de vin qu'il avait dans sa bouche, au visage du jeune garçon.

-Tu diras à nos fournisseurs que ce vin est dégueulasse, par rapport à d'habitude. Et comme j'ai la main prise par les verres, je vais te demander de te punir toi-même, pour le malheureux choix de vin que vous avez fait... et à l'avenir, fais savoir que Kanaw Llyr ne veut être en présence que de ce qu'il y a le mieux dans ce monde, que ce soit en êtres vivants, ou en nourriture, ou en boissons.

Le Croc Noir observa un très curt instant le garçon rentrer sa tête dans ses épaules, en état d'intense frayeur.

-Ce n'est pas en restant planté comme un abruti que tu vas gagner ma bonne humeur. Prends ton couteau de cuisine et coupe-toi les lobes des oreilles.

Voyant que le jeune homme semblait hésiter, Kanaw fit un pas vers lui.

-Si c'est moi qui dois te torturer, je risque d'être en tel état de stress que je pourrais te tuer. Toi, comme mi, préfèrerions éviter ce genre de situation. Alors dépèche-toi.

Au moment même où le jeune homme se coupait les lobes des oreilles, dans deux hurlements douloureux, et sous le sang qui coulait désormais de sa tête, Kanaw fut frappé d'inintérêt pour la scène de son marmiton qui s'auto-mutilait. même si la bande-son d'un tel événement avait quelque chose de jouissif.

Il fit quelques pas vers la plage, trempant ses pieds entre l'eau et la vase, et fit un geste de sa main valide qui portait les deux verres de vin vides.

-Erwana ! Que dirais-tu de profiter de l'absence du grand abruti en bleu avec un balais coincé dans le cul, pour parler affaires ? J'ai deux ou trois propositions à te faire, qui pourraient, avec un peu de chance, capter un court instant ton intérêt.

Le Capitaine des Corsaires souligna son sourire, le regard posé sur la silhouette de sa jumelle. Il n'avait toujours pas répondu à sa question, celle qui cherchait pourquoi il agissait. Pourtant, il savait qu'il fallait qu'il agisse, qu'il conduise sa vie comme le ferait un fin stratège.

Le Fou allait avancer son pion... ou peut-être le reculer. Kanaw ne suivait que son instinct et ses propres réflexions.

D'un geste de la main, il rappela le marmiton sans lobes à ses côtés, puisqu'il portait le vin. Le Croc Noir savait-il que sa soeur noyait ses souvenirs dans l'alcool ? Pour une fois, nous pouvions être assurés que... non.

Une fois l'ancre de son navire jetée, Erwana descendit sur la première barque, pour rejoindre la plage. Son regard parfaitement fixe et incroyablement impassible fixait la silhouette de son frère, dont le sourire éternel l'exacerbait.

Néanmoins, il fallait bien qu'elle accepte de supporter sa présence si elle voulait voir les missions se résoudre avec succès, et ce, pour le bien de sa réputation.

Elle devait rester naturelle, elle devait continuer d'être crainte, sans pour cela que cela tourne à la dérision. Son frère rejoint, sans même un salut digne de ce nom, elle écouta ses paroles sans même lui faire l'honneur de le regarder et dans un léger soupir, elle répondra:

-Qu'est-ce que tu vas encore trouver à me dire? Si tu prends goût à nos conversations, sache que pour moi, rien que le fait que tu m'adresses la parole a le don de m'irriter, à un point que tu ne pourrais sans doute jamais imaginer.

Un regard pour le mariton sans lobes, dont le sang coulait encore le long de son cou. Elle arqua un sourcil haussa ensuite les épaules, reposant son regard sur la plage, qu'elle se mit à fixer intensément, comme un prédateur qui guette sa proie et s'assure que rien ne pourra entraver la chasse.

Elle avait beau tout faire pour rester fidèle à elle-même, si son frère était attentif, il aura senti que son comportement n'était pas tout à fait normal, et c'était sans aucun doute que ses pensées étaient préoccupées par quelque chose qui, visiblement, la dérangeait. Et Erwana n'aimait pas ce sentiment, cette forme d'impuissance face à un nouveau problème. Car oui, c'était indéniable, c'était un véritable problème.

La Capitaine des Pirates reposa enfin son regard sur son frère, et d'un ton de voix que l'on sentait énervé, elle lui dira:

-Et par pitié, arrête de sourire bêtement, c'est vraiment agaçant, j'ai la sensation de parler à un bouffon!

La fuite?... Erwana, sur l'instant, se sentait comme prisonnière, contrainte de parler avec lui, et elle se surprit alors à attendre impatiemment le débarquement de ses matelots, pour avoir une raison valable d'éviter son frère jumeau. Mais ça, il ne le saurait pas, elle ne pouvait pas permettre qu'il puisse l'apprendre.

Sa main qui tout à l'heure tremblait rien que de penser à lui avait été calmée par un remède qui, pour le coup, ne semblait plus agir énormément. Envahie à nouveau de pensées qui la répugnaient, Erwana cachait du mieux qu'elle le pouvait cet étrange sentiment qui pour le coup lui faisait crisper les poings, à en faire blanchir ses jointures.

-Voyons, je n'ai pas une voix aussi désagréable, et je suis désolé si tu ne réponds pas à mes lettres. Probablement ne prends-tu même pas le temps de les lire.

Les réflexions d'Erwana sur son jumeau ne semblaient avoir aucun impact réel sur sa façon d'être. Il était toujours aussi souriant, même si un sourcil s'était haussé à l'idée qu'il soit un bouffon, puis il fit un geste de la main vers le pauvre marmiton, lui ordonnant silencieusement de remplir les deux verres, et d'en tendre un à la Capitaine des Pirates.

Et puis Kanaw haussa les épaules, et prit le temps de répondre à ce qui aurait pu être pris pour des insultes. Sa voix était basse, et il avait fait exprès de se trouver un peu éloigné des hommes des deux camps. Il valait mieux éviter les oreilles indiscrètes.

-Le bouffon du Roi. Le seul à pouvoir briser l'autorité, sans que personne ne lui reproche quoi que ce soit, parce qu'il paraît comme étant fou. Et pourtant, il n'est peut-être pas si bête qu'il ne veut bien le paraître. Il est peut-être dangereux... le pas à franchir entre la folie douce et le génie psychopathe est minuscule... Oui, je suis peut-être bien un bouffon, aux yeux de mon Roi. Un bouffon auquel il a le malheur de faire confiance. Et quant à mon sourire, sache que je l'ai adopté depuis que j'ai arrêté de pleurer... depuis le jour où ils ont donné une sépulture décente à nos parents. C'est peut-être bien ce jour-là, où j'ai franchit la frontière entre le fou et le psychopathe... Mais ce n'est pas pour parler de cela que j'ai décidé de me montrer à toi.

Il but une gorgée de vin, puis jeta le verre à ses pieds. Au lieu de se briser, ce dernier s'enfonça quelque peu dans la vase grisâtre de l'île. Imperturbable, la Capitaine des Corsaires, lui, souriait, comme si de rien n'était. Ou plus exactement, comme si le monde entier était un sujet immense, et unique, de moqueries.

-En fait, j'ai deux propositions. Une pour celle qui a un jour fait partie de ma famille, et l'autre pour ma collègue. Je commence par la deuxième, peut-être que ça va te mettre un peu plus en confiance... tu sais, je ne vais pas te mordre.

Le jeune homme posa son regard sur les Pirates qui étaient en train d'accoster, tout en disant :

-Elbénir Retniw est gravement en retard, cela serait amusant de lui faire payer. Tes hommes et les miens, éliminant de l'élite de la Marine, l'idée est jouissive, à mes yeux. On peut même faire passer ça pour une mort accidentelle, si on ne veut pas être poursuivis par le Roi. Le monstre aurait pu tous les dévorer avant qu'on ne le tue... Enfin, Capitaine, vous avez une alliance à méditer. Après tout, nous sommes tous deux des génies. L'océan pourrait nous appartenir sans que quiconque ne s'oppose à nous, si nous avions le courage de faire combattre nos troupes côtes à côtes.

Kanaw laissa son regard parcourir ses rangs, comme pour vérifier si quelqu'un n'était pas arrivé. Ou revenu. Il ne savait plus trop qui il attendait. Et il avait la chance de cacher naturellement ses sentiments, car rien ne peut exister sur son visage. Il lui est plus naturel de ne rien laisser transparaître, que d'esquisser un sourire différent.

-Ensuite, je m'adresse à celle qui a été ma jumelle, et qui ne veut plus l'être. Je ne sais plus pleurer, donc je ne vais pas m'appitoyer sur mon sort. Tu es trop têtue pour me croire sur parole, quand je te dis que je ne suis pas un traître, et que c'est d'abord à toi que je pensais, quand j'ai agi. Alors... alors je vais te donner une occasion. Quelque chose d'unique, et de fort. Le Roi que je sers en ce moment est celui qui a commandité la mort de nos parents, tu le sais aussi bien que moi... Et bien je t'offre l'occasion de te venger. L'occasion de tuer ce Roi. Et lorsque tu l'auras fait, j'ordonnerai la pendaison de l'homme qui a dirigé l'expédition qui a eu lieu chez nous.

Le Corsaire était immobile, silencieux, pendant quelques secondes, avant de recommencer :

-Tu me hais. Et tu sais que j'en souffre. Je ne te propose pas ça, seulement pour que tu me fasses de nouveau confiance, mais surtout pour nos parents... Parce que... parce que je ne sais pas quel genre de parents pourraient espérer que leurs enfants cherchent à s'entretuer... Mes parents, à moi, ils aimaient nous voir, ma jumelle et moi, nous entrainer ensemble, et combattre côte à côte. Mes parents étaient fiers, quand nous revenions avec des beaux butins... J'ai perdu mes parents, et ma soeur veut me perdre. Mais qu'importe, puisque je suis trop dément pour pleurer ?

Il leva sa main valide, laissant voir un anneau autour de son majeur, et soupira...

-Je te laisse réfléchir à tout ça, me détester, et je te demande d'attendre que le grand con arrive avant de partir pour les intérieurs de l'île. Et si par hasard tu tombes sur ma fiancée avant moi, dis-lui que je la cherche. Pour la retrouver, cherche celle qui... c'est celle qui te ressemble le plus. Et qui dégage une excellente odeur d'arrogance, d'orgueil, d'ambition et de noblesse.

Il fit un pas vers les siens, mais se détourna, pour fixer Erwana, et lui murmurer d'une voix plus basse, presque inaudible, avec le ton qu'il employait lorsqu'il était encore enfant :

-Je t'aime encore, petite soeur...

Les battements du coeur de Lycia s'accélèrent légèrement lorsque le médecin posa les yeux sur elle.
*C'est un médecin* pensait-elle, quelque peu effrayée que son "secret" soit démasqué, *c'est un médecin, il doit s'y connaître un minimum en anatomie. Et si...* Mais ces inquiétudes restèrent infondées lorsque le regard de l'homme glissa tout naturellement vers son capitaine et l'accepta d'une simple phrase.

Lycia bougea encore moins lorsque son capitaine leur donna ses ordres, à peine l'ombre d'un sourire et un imperceptible hochement de tête fut sa réponse à la demande de Kanaw.
*Faire mes preuves. Soit. Heureusement que le capitaine ne tient pas plus que cela à souligner l'immense incapacité dont j'ai fait preuve jusqu'à aujourd'hui à me rendre utile, ou même à faire quoique se soit.*

Quoiqu'il en soit, si elle fut surprise, furieuse ou tout simplement dubitative sur l'affectation du médecin - *Diantre, comment un homme de science peut-il mener une expédition en terrain hostile?* -, la jeune femme n'en montra rien et c'est tout naturellement que, lorsque le capitaine se désintéressa d'eux qu'elle se tourna vers le médecin et dit simplement :
"Et maintenant?"

Comme tout bon soldat, elle attendrait les ordres, et protégerait le médecin au péril de sa vie : après tout, c'était les ordres de son capitaine. Elle pria juste pour que l'homme ne fasse aucun acte inconsidéré qui causerait leur perte à tous deux.

Invité

L'inconstance de Kanaw réussit finalement à déstabiliser Kylian. Après l'avoir pris à son propre jeu en le nommant responsable de cette expédition de reconnaissance, le capitaine s'était tout bonnement désintéressé de lui, et du jeune homme qui s'était porté volontaire à ses cotés. En regardant autour de lui à la recherche d'un éventuel autre volontaire pour les accompagner, Kylian aperçut le grand navire pirate qui avait jeté l'ancre à quelques encablures de Punition. Une barque était déjà à la mer, et le capitaine était sur le point d'accoster. Rompu aux signes de malaises des hommes, le médecin observa avec curiosité les premiers signes de nervosité de Kanaw.

Mais le jeune homme à ses cotés le ramena à la mission qui leur avait été confiée. Il lui fit signe de le suivre, et commenca à s'éloigner à pas précautionneux pour ne pas s'enliser dans ces terres marécageuses. Il n'avait pas fait deux cent mètres qu'il se tourna vers lui, un sourire aux lèvres, l'air vaguement penaud.
- "Je suis Kylian Halsey, le médecin de bord. Je crois qu'il a voulu me punir de l'avoir ouverte un peu trop franchement. Je tiens la route en médecine, pas de problème de ce coté-là, mais je ne suis pas sûr d'être le meneur qu'il faut en ces circonstances. Désolé de t'avoir embarqué là-dedans."

Le tutoiement lui était venu spontanément. La jeunesse du marin se lisait clairement sur ses traits, et puis... n'étaient-ils pas compagnons de bord, finalement ? Kylian désigna une bande de terre apparemment plus solide que le reste des marécages, qui s'enfoncait vers le centre de l'île. Ils prirent cette direction en continuant à deviser, approchant d'un tas de roches moussues qui dépassaient clairement sur le paysage.
- "Je ne sais trop à quoi nous devons nous att..."

Il stoppa net en portant la main à son mousqueton. Au sommet des rochers se trouvait un homme aux vêtements plus ou moins en lambeaux, portant l'épée, et qui leur souriait d'un air qui se voulait sans doute avenant, mais n'était rien d'autre que figé. Il le montra du doigt à son compagnon, s'interrogeant sur les raisons de la présence de cet inconnu en ces lieux. Ils avaient été persuadés d'être arrivés les premiers, mais peut-être n'était-ce pas le cas, en définitve ? Peut-être d'autres corsaires, pirates ou pire, la marine, avaient-ils jeté l'ancre de l'autre coté de l'île ?

Mais alors que venait faire cet homme ici ? Et pourquoi était-il seul ? Il avait plutôt l'air d'un Robinson Crusoé, un vagabond échoué et abandonné en ces lieux. Il n'avait pas l'air particulièrement agressif, mais pouvait-on jamais savoir ? Il interrogea son compagnon du regard, puis ils continuèrent à avancer dans sa direction. Kylian l'interpella dès qu'ils furent à portée de voix, essayant de se donner un air pas trop engageant, mais pas franchement hostile non plus.
- "Hé, l'ami, qu'est-ce que tu fais là-haut ? Espionnerais-tu le capitaine Kanaw ?"

Invité

Jesha se tenait raide comme un « I », son sourire de convenance s'éclipsant peu à peu.

L'heure des entrées en matières avait vécu avec succès – Après tout, il n'avait point encore été truffé de mitraille par le mousquet – et il était temps de parlementer.

Parlementer... Comment peut on le faire lorsque tous les atouts sont dans le jeu ennemi et que le rapport des forces est si important que l'on doit battre une quinte sans avoir reçu une seule carte.

Et bien... On bluffe.

« Effectivement... J'observai le Navire du Capitaine... Kanaw. » dit il en prenant soin d'éviter le terme « espionner », notant que son interlocuteur n'avait rien d'un imbécile, peut être même un homme instruit à noter sa parfaite élocution, signe qu'il devait pouvoir désarticuler des mots complexes sans trop se tromper.

Il abaissa lentement ses mains et posa sa botte gauche sur une roche, avant de faire porter son poids sur cette jambe, prenant une pose nettement plus détendue.

Ses traits s'assouplirent. Ses yeux se plissèrent.

Profitant de sa position surélevée il amplifia par sa posture son sentiment d'aisance et s'afficha comme celui qui sait.

Qui sait par exemple combien de tireurs étaient embusqués aux alentours, ce qu'il tenta de faire croire en jettant quelques regards à droite, à gauche.

« L'on me nomme Jesha Milandreze, de la Maison Milandreze, pour ce qui est des présentations » dit il en tentant de faire au plus court et de descendre de son perchoir.

« Je représente un groupe piégé sur cette île, depuis huitaine... rescapés d'une expédition sur cette île. » précisa t il, en observant le Navire Pirate, à l'approche.

« Un navire pirate... Voilà ma chance » grinça t il, avant de se rendre qu'il avait parlé à mi voix.

« Enfin... je veux dire... Votre Capitaine va avoir à faire à forte partie... Aussi... En échange de notre embarquement hors de cette île le...

« C'est là qu'on bluffe » se dit il.

« ... Groupe de rescapés et moi même acceptons de notre mettre à sa disposition. » dit il en tappotant la garde de sa Sabrière de la pointe de l'index.

Un Groupe de deux personnes, ca ne faisait pas un grand renfort, il fallait le reconnaître.

« J'ai pour métier celui des armes et suis actuellement sous contrat avec la Maison Lusingando, aussi si le Capitaine prend en compte ce point et ne me proposes aucun travail ne contrariant ma morale... » dit il en s'interrompant pour glousser légèrement.

« ... Je serai bientôt des votres, Messieurs » ferma t il en se mettant à leur disposition, enfin à leur hauteur.

La traversée des Fleuves Infernaux dura six jours. Six jours durant lesquels Adam continua son travail normalement... ou presque.
La corsaire avait mal à l'épaule, et des difficultés à bouger son bras gauche. Et, rappelons-le encore, Mary avait refusé tout soin. Elle s'était occupée elle-même de son épaule dès qu'elle avait pu accéder à sa cabine, recouvrant la blessure d'un bandage de tissus, plus pour faire un pansement qu'un garrot.
Quelques fois, une expression de douleur traversait son visage, s'en allant en quelques secondes, si bien qu'on se demandait si l'on avait pas rêvé.
Mary, cependant, ne se faisait pas d'illusions quant à son état : la blessure n'était pas grave, mais à force de repousser les soins qu'elle aurait dû prendre...
Ils approchaient de la terre ferme, et elle décida d'attendre jusqu'à y être arrivée.
Là, elle s'éclipsa discrètement, allant à la rencontre d'un docteur, peu importe lequel.
Ledit docteur fit de son mieux, et la conclusion fut moins grave que ce qu'elle craignait :
- Cela suffira... cependant, ne forcez pas trop sur ce bras, et revenez me voir dans un mois pour constater les améliorations... n'oubliez pas de changer le bandage tous les quatre jours minimum.
Evidemment, Mary n'envisagea pas une seule seconde de revenir le voir. Elle paya ce que le médecin lui demandait, puis rejoignit, tout aussi discrètement, le navire.
Le reste du séjour se déroula sans encombre, et ils repartirent, à la "chasse au monstre."

Les voilà arrivés, ces fiers corsaires, leur chef s'élançant le premier dans la terre boueuse de l'île. Et s'enfonçant au moins de cinq centimètres.
Mary mit à sa suite pied à terre, observant les environs. Eh bien... ce n'était pas joyeux par ici. De la boue, des arbres morts... il ne manquait plus que quelques cadavres ici et là pour parfaire le joli tableau.
Kanaw désigna aussitôt quatre "volontaires" pour garder le bateau, puis le médecin proposa une expédition de reconnaissance, ce qui serait, effectivement, pratique.
Une femme s'avança, se proposant pour cette mission. Le médecin, finalement, accepta, et ils partirent tous deux.
Mary restait là, et sortit un calepin. Et de quoi écrire.
Ils manquaient de renseignement... notamment sur la position du monstre et sur ses capacités. D'ailleurs, est-ce qu'il était fort ? Apparemment, personne ne l'avait jamais affronté, alors, on ne pouvait savoir... à défaut, Mary considéra qu'il était suffisamment fort pour repousser un assaut des corsaires. Mieux valait surestimer son ennemi que le sous-estimer.
Quant à la typographie de l'île... elle avait pris une carte avec elle. L'île n'avait pas une forme bien définie, elle n'avait pas vraiment non plus de pointes extrêmes, ce qui était beaucoup moins pratique pour piéger le monstre.
La terre était boueuse, ce qui l'avantageait certainement ; c'était, d'après les dires, un monstre aquatique...

Tout cela, Mary le notait aussi bien dans son carnet que en elle-même, et elle réfléchissait.
Finalement, elle remit le calepin et la plume dans sa poche. Noter tout cela ne la faisait pas avancer dans ses recherches. Elle resta donc ainsi, peu attentive aux deux capitaines, attendant les résultats de l'expédition.

Elle ne remercia évidemment pas le mariton pour le verre de vin, qu'elle prit pourtant et qu'elle but doucement, son corps se calmant dans l'idée d'avoir cette petite aide, certainement plus psychologique qu'autre chose.

S'efforçant de ne se concentrer que sur les paroles de son frère et sur leur contenu, qui pour l'instant n'avaient rien de troublant, elle s'était bientôt retournée face à lui, croisant les bras, appuyée sur sa jambe droite, lui lançant un regard intrigué et un peu surpris:

-Tu voudrais que nous coulions la flotte d'Elbénir? Mais l'autre fois tu disais que nos forces devaient être jointes pour arriver à combattre les monstres survenus dans nos eaux. Je te signale que c'était une des seules raisons, si pas la seule, qui me faisait me liguer avec vous. Si ce n'est plus d'actualité, je ne vois vraiment plus ce que je fais ici. Car tu t'en doutes, ce n'est certes pas par plaisir que j'ai accosté mon bateau dans les environs, j'ai d'autres choses à faire. D'autre part, l'idée me paraît fort séduisante, mais venant de toi je ne sais pas comment je pourrais l'expliquer mais je reste particulièrement... méfiante. Sait-on jamais, un revirement de situation, un changement de bord, c'est courant, chez toi.

A ce moment-là, elle avait alors soutenu son regard avec une extrême froideur, typique de la haine qu'elle vouait à son frère et de l'accumulation de colère depuis leur enfance.

Mais son discours ne s'arrêtait pas simplement à cette proposition d'alliance, il tourna bien vite sur un sujet sur lequel elle était évidemment beaucoup moins à l'aise. Ne montrer aucun signe de faiblesse, aucun sentiment. S'il savait mentir et jouer le jeu à ce point-là, elle devait en être tout aussi capable.

-Tu me donnes le père de ta fiancée? Qu'est-ce que ça cache? Me crois-tu assez dupe pour aller au palais risquer ma vie pour arranger tes affaires? Quant à l'homme qui a dirigé l'expédition contre nos parents, je peux le trouver tout aussi bien... Je n'ai pas besoin de ton aide pour ça.

Les paroles de son frère étaient terribles. Et persuadée qu'il était conscient de la douleur que ça pouvait infliger à sa soeur, elle était encore plus certaine qu'il le faisait exprès et donc, une fois de plus, qu'il jouait le jeu.

Quelle ordure... Une ordure. Il n'avait aucun sentiment. Pas son frère, plus son frère. Evoquer les souvenirs, il jouait là un jeu dangereux, un jeu qui rendait petit à petit Erwana folle de rage, à l'intérieur.

Son verre de vin qu'elle vida d'une traite pour calmer ses nerfs était bientôt soumis à la forte pression de sa poigne, à tel point qu'il finira par éclater, les morceaux de verre se dispersant dans la vase à leurs pieds, quelques morceaux allant se loger dans sa peau.

Elle le regarda faire un pas pour s'éloigner, et les derniers mots prononcés la laissèrent immobile, les bottes enfoncées légèrement dans la vase. Plus que les larmes qui auraient voulu s'écouler, parce qu'elle avait perdu tout contrôle sur ses sentiments, c'était la colère qui dominait et qui avait marqué son visage d'un terrible air, une volonté de violence, de faire souffrir, de tuer...

Oh, oui, elle se vengerait de ses moqueries, de ce pouvoir qu'il croyait avoir sur elle. Elle trouverait le moyen de lutter contre ça, et de se montrer plus forte dans le jeu des hypocrites que lui. Plus forte que lui... Bien plus forte. Il fallait changer de sujet, ne pas lui laisser croire qu'il avait réussi à la toucher.

-Pour Elbénir... Je veux pouvoir le tuer. De mes mains. Lui faire payer la perte de mes Pirates. Quand tu auras un plan digne de ce nom, vient me trouver, je reste dans les environs. Mais dis-toi bien, Kanaw, que je ne suis pas dupe et que je te connais, bien plus que tu ne peux le penser. Quant à ta fiancée... Je ne sais pas si c'est une bonne idée de me confier sa recherche, si tu tiens à ce qu'elle reste en vie. Car je n'ai aucunement envie de t'aider à acquérir le pouvoir royal, vois-tu.

Elle retourna alors près de son équipage qui peu à peu était arrivé sur l'île, et elle se mit à la recherche de son médecin de bord. Apparemment, elle avait quelque chose en tête...

La colère n'avait pas explosé mais malgré que son visage restait figé dans une expression naturelle d'indifférence, il aurait semblé que quelque chose avait changé, au fond, tout au fond d'elle-même. Quelque chose contre laquelle elle avait du mal à lutter, une nature seconde, une personnalité seconde, qui lui donnait beaucoup de mal.

La torture mentale... Une des pires choses existant au monde. A ce jeu-là, son frère était très fort, elle lui reconnaissait cette faculté de la mettre hors d'elle-même. Mais là, il avait été trop loin. Elle lui ferait payer ce comportement, ces paroles.

Lycia ne réagit pas plus que cela à la présentation du médecin. A peine parvint-elle à retenir son nom. Ce n'était pas franchement cela le plus important. Non, ce qui était important était que cet homme, ce médecin, avoue à voix haute qu'il n'était pas spécialement fait pour de telles missions. Et ce fut cette franchise qui força Lycia à se présenter à son tour.
*Après tout, quelqu'il soit, l'homme qui avoue son incapacité, quelqu'elle soit elle aussi, mérite forcément le respect.*

"Enchanté Kylian, moi c'est Erik."

Soudain consciente que ce début de conversation était peut-être un petit léger pour deux personnes qui étaient embarquées dans une même galère, elle se força à ajouter :
"Ne t'inquiète pas pour cela, je ferais en sorte qu'il ne nous arrive rien. Enfin, qu'il ne t'arrive rien, le capitaine a bien été clair sur ce point."
Ces paroles auraient pu être prononcées sur un ton rassurant, presque fraternel, mais pour Lycia ces subtilités avaient depuis longtemps été oubliées, c'est pourquoi ce joli discours sonna plutôt comme une phrase lâchée avec désinvolture et froideur. Ce qui ne la dérangea pas plus que cela en fin de compte.
*Nous sommes en mission, pas en vacances*

Finalement, ils se mirent en route et, pendant quelques temps, Lycia se força, encore une fois, à répondre - le plus souvent par des monosyllabes ou d'une manière dépourvue de tout intérêt - à la conversation du médecin. Et puis, soudain, le médecin, laissant sa phrase en suspens, stoppa net et, suivant son regard, Lycia aperçut qu'il n'était plus seul.

*Un homme ici? Quel piège est-ce donc? Cela ne faisait pas vraiment partie du contrat*
A peine ces quelques phrases s'imprimèrent-elles dans son esprit que son sabre était dans sa main droite et que la gauche s'employait à faire reculer, sans brusquerie mais fermement, le médecin de manière à ce qu'il se trouve derrière lui.

Lycia remarqua alors que Kylian avait posé la main sur son mousquet [HRP : et non mousqueton ^^], invisible jusque là, et Lycia accepta donc qu'ils s'approchent quelque peu. L'homme semblait seul, eux deux étaient armés et, même si le médecin ne savait pas se servir de son arme, elle saurait bien se servir de la sienne pour deux.

Kylian engagea la conversation et, alors que l'homme répondait, Lycia se douta qu'il tenterait de les bluffer par tous les moyens. Son discours sonna vite faux aux oreilles de Lycia, qui avait depuis longtemps développé un sixième sens pour repérer les menteurs. Néanmoins, elle n'arrivait pas à comprendre pourquoi l'homme se donnait tant de mal pour leur faire croire qu'il n'était pas seul et qu'il ne leur voulait aucun mal. Peut-être parce que, justement, il n'était pas seul et était vraiment ce qu'il prétendait être... Mais la nature méfiante de la jeune femme écarta cette hypothèse : ce bout de terre était perdu au milieu de l'océan, et ils auraient été certainement informés par Kanaw s'ils y avaient la moindre possibilité de croiser des naufragés. Restait donc à savoir ce que faisait l'homme ici, et comment il y était arrivé.

La proposition de se mettre à leur service déstabilisa complètement Lycia. Que voulait-il donc à la fin? Ce n'était pas vraiment courant les hommes qui se mettait à disposition d'autres dont ils ignoraient tout... ou presque.

C'est alors que Lycia se souvient qu'il connaissait le nom de leur capitaine. Elle glissa donc deux mots à voix très basse au médecin, de manière à n'être entendu que de eux deux :
"Kylian, cet homme est louche. Que fait-il ici? Et pourquoi se joindrait-il à nous si facilement? Et puis... je ne vois pas ses fâmeux compagnons..."

Lycia espéra que le médecin comprendrait la menace que représentait cet homme, qui voulait leur faire croire qu'il ne savait pas grand-chose, alors que le contraire était évident.

Néanmoins, elle décida que c'était à Kylian, le chef de cette mission, à qui reviendrait l'honneur de décider du sort de cet homme.

Au loin, un nouveau détail sur l’horizon attira le regard de ceux qui contemplerait à ce moment l’océan. Une ombre sur le bleu mouvant de la mer, qui s’avançait lentement. Un navire marchand, toutes voiles dehors, d’une taille bien petite en comparaison des bâtiments respectifs du chef des Corsaires et du chef des Pirates. Sa vitesse n’était pas exemplaire, et sa conduite plutôt hésitante. Il ne faisait aucun doute qu’il n’avait rien à faire dans les parages, et que certainement, il aurait préféré ne pas y être.
En effet, le navire interrompit sa progression environ à une centaine de mètres de la plage, et s’immobilisa complètement. Pendant quelques secondes, rien ne se passa. Puis, une fine silhouette se dressa sur le bastingage, leva les bras vers le ciel, puis plongea littéralement, sans plus de préambule.

Parmi les vagues qui agitaient la mer, il ne fut tout d’abord pas possible d’entrevoir la personne qui venait de se jeter du bateau, et ce, pendant plusieurs minutes, ce qui laissa bientôt penser qu’elle s’était tout bonnement noyée. Mais finalement, quelqu’un ressortit de l’eau, même si malgré la distance, il était encore impossible de l’identifier, ou même de savoir s’il s’agissait d’un homme ou d’une femme.
La personne en question commença à progresser vers la plage, résolument… quoique avec certaines difficultés malgré tout. Parfois, la houle et le courant la faisait nager sur place pendant quelques secondes épuisantes, et d’autres fois encore, elle disparaissait entièrement de la surface de l’eau, durant des instants si longs qu’on aurait pu à nouveau la croire noyée. Mais chaque fois elle finissait par remonter à la surface, et continuait à avancer, jusqu’à atteindre la plage….

Là, on distingua alors nettement qu’il s’agissait d’une jeune femme, qui sortait de l’eau, poussée par les vagues, d’un pas qu’elle voulait maîtrisé et parfaitement naturel, malgré l’effort qu’elle venait de fournir… et certainement d’autres encore, auparavant.
Tout comme les autres, ses bottes s’enfonçaient allègrement dans le sol, mais elle avait cette étrange capacité à rester toujours parfaitement présentable. Elle gardait un maintien poli, des gestes sûres, presque irréels compte tenu du contexte, et fit quelques pas gracieux dans la boue, en relevant la tête. Ses longs cheveux noirs, trempés, retombèrent de chaque côté de son visage taillé dans la glace, imperméable à toute forme de souffrance.

Eleanora… Eleanora, et son regard imperturbable, qui avait encore le don de charmer et d’effrayer tout à la fois. Un regard qui balaya les alentours en une simple seconde, comme si elle n’y accordait pas vraiment grand intérêt. Sans doute notait-elle simplement la présence des Corsaires, tout comme des Pirates… et par conséquent, conluait qu’elle était enfin arrivée à bon port.

Ses lèvres s’étaient comme cristallisées en un sourire courtois et indifférent, et ses yeux ne s’arrêtèrent qu’une fraction de seconde plus longtemps sur le Capitaine des Pirates. Quant au chef des Corsaires, elle le considérait comme tout le reste du décor. Il aurait été un rocher, ou même la boue sous ses pieds, que l’effet aurait été le même.
La jeune femme, en un geste surprenant, esquissa alors une lente révérence, pour annoncer de sa voix neutre qui lui allait si bien :

- Veuillez excusez mon maigre retard… Il y a eu un contre-temps facheux indépendant de ma volonté, vous m’en voyez navrée…

Nul ne pouvait savoir à qui elle s’adressait réellement, ni s’il s’agissait d’une pointe d’humour dont elle faisait preuve. Rien n’était moins sûr… Elle paraissait parler en règle générale à tous ceux aptes à l’entendre, quand bien même ils n’auraient aucune idée de qui elle était, ou de ce qu’elle faisait là.

Malgré ses vêtements trempés qui dégoulinaient jusqu’au sol et lui collait à la peau, sa chemise tâchée de sang et d’autres matières non identifiables, et sa respiration un peu accélérée après sa nage, elle paraissait d’un naturel déconcertant. Comme si tout ce qui se passait était parfaitement normal, et parfaitement contrôlé par elle… Ce qui n’était pas forcément le cas, bien évidemment.

Car pour quelqu’un qui avait l’habitude de la côtoyer, il était très facile de remarquer que quelque chose n’allait pas. Un changement infime dans son sourire convenu, une lueur particulière dans ses yeux qui ne fixaient rien de précis, et autre chose dans son maintien, qui faisait presque frissonner d’appréhension. Son dos, bien malgré elle, était légèrement courbé, et plus tendu encore que la corde d’un arc.

Et malgré la sensation d’impassibilité et de neutralité exemplaire qu’elle dégageait, il y avait une faille. Une impression fugace qu’elle pouvait tomber à genoux à tout moment. Alors même qu’elle semblait plutôt en bonne santé, d’apparence… si l’on exceptait trois profondes griffures que l’on pouvait apercevoir au niveau de son cou, et du sang qui coulait lentement juste au dessus de son œil droit.

Et toujours sans accorder un seul véritable regard à son fiancée, froide et imprenable, elle ajouta simplement :

- Y aurait-il un médecin parmi vous, par le plus grand des hasards ?

Invité

Il était évident pour Kylian que l'homme qu'il avait en face de lui jouait un rôle. Dans quelle étrange pièce de théatre, il n'en savait fichtre rien, mais il était plongé dedans au point, peut-être, de ne même pas s'en rendre compte lui-même ! Depuis quelques jours, depuis le début de la traversée en réalité, le médecin était ébahi de l'attitude des corsaires qui l'entouraient. Ils se comportaient tous comme des gens de la haute société. Pas un qui ne fut tout simplement lui-même, sans fard ni artifice. Cela donnait un coté pesant tout à fait désagréable à son quotidien, et il rêvait de rencontrer une personne moins compliqué.

Kylian soupira à la présentation de l'inconnu. Jesha Milandreze, de la Maison Milandreze, rien que ça... Encore un noble déchu qui allait finir chez les corsaires, ça allait devenir une maladie ! Il prétendait représenter un groupe de rescapés piégés ici depuis huit jours, mais il n'en avait aucunement l'humilité. Il ne semblait pas si affecté, ni par le manque de nourriture, ni par la crainte de la créature marine sensée s'abriter ici. Son histoire ne sonnait pas tout à fait assez juste pour le convaincre. Pourtant, il se tut et le laissa terminer.

- "Un groupe de rescapés, dîtes-vous ? Combien d'hommes ? Des blessés ? Peut-être pourrais-je les examiner, je suis médecin."
Kylian se doutait bien qu'il n'aurait pas grand-monde à ausculter. Ce type bluffait, c'était évident à sa manière recherchée de s'exprimer. Il s'écoutait parler avec attention, prenant garde à ne pas trop en dire. Et puis il y avait eu cette hésitation sur le nom de Kanaw, il était tombé dans son piège. La capitaine s'appelait Llyr. Que savait-il en réalité de ce que son capitaine allait avoir à affronter ? La créature ? Les pirates ? La marine ?

- "Quoi qu'il en soit, c'est au capitaine en personne que vous devrez vous adresser pour de l'embauche. Sur quel bâtiment étiez-vous ?", demanda-t-il en commencant à s'approcher.
Toujours aucune trace visible de ses soit-disant compagnons. S'ils n'avaient rien à se reprocher, pourquoi ne se montraient-ils pas ? Ils auraient dû être trop contents de voir autant de navires pour les sortir de là. C'est alors que le jeune Erik lui glissa furtivement un avertissement à l'oreille. Il lui répondit de la même façon, tout bas, de telle sorte que leur échange reste imperceptible des oreilles de Jesha.
- "Je ne lui fais pas confiance non plus. Peut-être est-ce une manoeuvre de la marine pour nous entraîner sur une mauvaise piste ? Essayons d'en savoir plus, mais garde le à l'oeil pendant que je l'examine."

Kylian était arrivé à proximité de Jesha. Il l'examina du regard de la tête aux pieds, cherchant des marques quelconques de blessures. Il avait l'air plutôt en forme, bien que sâle et dépenaillé. S'il était vraiment là depuis huit jours, il n'avait pas eu maille à partir avec le monstre marin, c'était évident.
- "Vous n'êtes pas blessé, vous même ? J'ai ma trousse de secours avec moi, si besoin est."

Alors que tout le monde se demandait ce que pouvait bien faire la marine, après tout ils étaient sortit à peu près tous en même temps du Cocyte et le chemin jusqu'à leurs base n'était pas plus long que celui des autres, Elbénir tapait du pied sur le pont.
Il était en retard, pour une fois les prévisions de cet homme n'était pas juste.
Heureusement que cette manière d'arrivée empêchait quiconque de l'attaquer avant qu'il ne soit arrivé bien que cela ne se passerait pas sans
risquer le navire et la vie de l'équipage mais bon il n'avait plus le choix.
Après avoir expliqué à ces marins la gravité du danger et leur avoir laissé partir pour trois jours de permission il était descendu à la cale et avait libéré le superviseur qu'il avait enfermé avant le voyage dans les enfers aquatiques.
Cela, vous l'imaginez, ne c'est pas bien passé du tout.
D'autant qu'il fallait encore expliquer à celui-ci l'arrangement des trois camps, chose inadmissible pour un membre de la marine comme Yon.
La seule chose qui réussit à calmer la colère de celui venu le surveiller fut le fait que le Roi avait autorisé, si pas organisé par l'intermédiaire de Kanaw, cet arrangement.
Seulement Yon fut intransigeant, il fallait qu'il soit présent lors de cet affrontement.
Pourquoi? Pourquoi fallait-il qu'il se colle à ses basques? Le Capitaine de la marine n'en n'avait aucune idée mais cela l'agaçait singulièrement.
Et en plus il se trouvait juste derrière lui apparemment inconscient de ce qui se préparait...
Alors puisque c'était comme ça...
Elbénir ordonna que l'on mette à l'eau une chaloupe spéciale, il avait profité du retour au bercail de ses marins pour modifier un peu la coque du navire ainsi que celle de cette barque, et monta sur celle-ci.
Le superviseur ne compris rien à ce qu'il se passait en voyant le Capitaine de la Marine l'inviter à bord de cette chaloupe et les écarter un peu du navire.
Jusqu'à ce qu'Il arrive...

Si ceux qui contemplait l'océan avait pu voir le navire marchand arriver, ceux qui avait l'ouïe fine auraient pu entendre un son de chute et ceux qui laissaient peut être leur regard errer dans les nuages voir arriver du ciel un navire de taille respectable que l'on pouvait toutefois reconnaitre comme celui de la marine.
Pas le temps de réagir, à peine l'ombre du bateau se fit-elle entre-voir sur la zone d'atterrissage que le navire heurtais la surface de l'eau.
Heureusement son point de chute était assez éloigné des deux autres navires qui avaient jeté l'ancre ce qui permis à ceux-ci de ne pas chavirer à la rencontre de la vague que produit l'atterrissage.
Les hommes à terre non-loin du point de chute eurent moins de chances.
Ils prirent un bain momentané et se retrouvèrent projetés quelque mètres plus au centre de l'ile.
Les marins à bord du navire qui venait de faire une entrée fracassante, qui heureusement avait laissé la coque intact grâce aux modifications du Capitaine, semblaient choqués mais non surpris par cet atterrissage aussi éclaboussant que dangereux.
Ils mirent quelques minutes avant de réagir et de s'organiser pour jeter l'ancre et descendre sur la "terre ferme"...
Ou plutôt sur cet espèce de brouillasse qui constituait apparemment le sol de l'ile.
Et chose étrange, nulle trace du Capitaine.
C'est alors que sans plus prévenir que son navire, il arriva par la voie des airs.
A bord d'une chaloupe il descendait du ciel un peu plus vite que le navire avant lui et, de ce fait, alla un peu plus loin que celui-ci.
Atterrissant non loin des deux autres Capitaines et s'enfonçant relativement profondément dans la boue il manqua d'écraser tout ceux autour de lui.
Heureusement tout le monde fut sauf... à part peut être la dignité des vêtements de diverses personnes qui reçurent une dose plus ou moins forte de boue les maculant, pour certains les recouvrant totalement.
A bord de la chaloupe se trouvait bien évidement Elbénir qui en sortit comme si de rien était s'enfonçant dans la boue environnante et tenant dans sa main sa faux mais aussi le super-viseur.
Celui-ci était blanc comme un linge et à priori très choqué, on voyait bien qu'il n'avait pas été mis au courant de cette manière de débarquer.
Mais à peine étaient-ils arrivés qu'une "averse" tiède les suivit, se déversant sur la zone de débarquement lavant plus ou moins ceux et celles qui venait de se faire maculer de boue.
Elbénir se planta sur un rocher et observa le débarquement de ses hommes ainsi que, du coin de l'oeil, les autres camps en présence surtout les deux Capitaines adverses qu'il savait capable de mouvement d'humeur assez disproportionné.

Kanaw était quelqu'un qui, parfois, pouvait surprendre. Alors que la plupart des gens ici présents pouvaient penser que son sourire était inviolable, certains événements allaient mettre à mal cette fameuse bonne humeur qu'il pouvait montrer jour et nuit.

Le premier fut sa sœur jumelle, qui, vraisemblablement, était plus dangereuse qu'il ne le fallait. Surtout parce qu'elle savait que Kanaw était avec la fille du Roi. Et par là, elle semblait se douter qu'il voulait prendre la place du Seigneur. Bien. Il y avait deux façons de posséder ces informations : en avoir parlé avec Eleanora durant les quinze jours qui venaient de se passer, ou connaître suffisamment Kanaw pour, au fil de plusieurs espionnages, savoir ce qu'il manigançait. Et Kanaw n'appréciait pas du tout ce genre de situation. Etre prévisible, ce n'était pas ce qu'il aimait le plus au monde. Et ceux qui savaient ses plans, pouvaient très bien les mettre à jour. S'ils le faisaient, alors ils méritaient la mort. Et, en quelque sorte, la question d'éliminer sa sœur vint à l'esprit du jeune Capitaine.

Erwana aurait très bien pu souffrir, si l'attention du Croc Noir ne s'était pas déplacée sur sa fiancée, qui revenait des flots, comme si de rien n'était. Bon, il ne s'attendait pas à autre chose de la part de la Princesse, mais Eleanora était quelque peu différente. Peut-être était-il le seul à le remarquer, d'ailleurs, puisqu'il était le seul à réellement la connaître... Si on pouvait bien connaître Eleanora Montgomery, ce qui n'était pas si certain. Ceci dit, il lui en voulait de ne pas le regarder, comme il en voulait à bien des femmes de feindre l'inexistence du grand Kanaw Llyr. Sauf que ce n'était pas pareil. Il n'avait pas les mêmes intentions envers la Princesse, qu'envers une fille de joie. Et venant de cet homme, c'était assez surprenant, que quelqu'un d'autre que sa sœur, portant la féminité, soit considéré comme étant plus qu'un être avec qui prendre du bon temps.

Pensons, donc, que quelqu'un qui se faisait refuser par les deux seules femmes qui étaient, à ses yeux, plus que de simples femmes, était déjà assez tendu. Les yeux de Kanaw Llyr étaient déjà rougissants, avant qu'une explosion ne retentisse, et qu'un bateau ne tombe du ciel, l'aspergeant de boue, puis d'eau. Un bateau de la Marine, de plus, commandé par Elbénir Retniw, qui venait de... de quoi au juste ? De l'insulter ? De foutre définitivement en l'air ce pauvre vêtement qu'il avait payé une fortune ? De le ridiculiser devant ses hommes ?

Bref, certains Corsaires, jugeant que les yeux rouges du Capitaine n'étaient pas une bonne chose, décidèrent, entre eux, qu'il était bon de se disperser. Ceci dit, Kanaw était vif à la transformation, et si un simple...

-VOUS M'EMMERDEZ !

... retentit, ce n'était qu'une façon comme une autre d'exprimer son énervement. Façon qui fut suivie d'un rire, clair, mais si dément, qu'il en devenait sombre. Le Capitaine balança sa tête en arrière, frappé de sa folie, peut-être plus qu'il ne l'était à la base, porté par ce rire qui résonnait sur l'île morte. Et il se laissa tomber à terre, sans plus prévenir... sauf que lorsque sa main l'empêcha de s'allonger dans la boue, il avait changé considérablement de forme, puisque sa masse musculaire avait décuplé. [HRP : et comme nous en parlions avec Elbénir, c'est vraiment fois dix XD]

Les cheveux grisonnants, le regards rouge enflammé, et posté sur ses bras puissants, autant que sur ses jambes, Kanaw fixait les personnes autour de lui. Son dos se soulevait, et se rabaissait, sous un souffle rauque. Il avait le regard d'un prédateur, qui cherchait à déterminer sa proie. Et il la choisit rapidement, comme étant l'être qui saignait déjà plus que les autres. Il hésita sur Mary Bonny. Il prit la décision de s'en prendre à Eleanora.

Alors il commença à galoper, rencontrant dans sa course un Corsaire plus courageux que d'autres, sur lequel il bondit. Une morsure, et l'épaule du brave se retrouva dans la bouche du Capitaine. Le reste ne mit pas longtemps avant d'être broyé sous des coups furieux. Et Kanaw -tout du moins ce qu'il en restait- délaissa ce tas d'os broyés, dont la chair avait été engloutie assez rapidement, pour continuer sa course vers Eleanora.

Le temps sembla s'arrêter un court instant. Un moment infime, et pourtant éternel, où le regard rouge de la Bête rencontra celui d'acier, de la Belle. Puis, ce qui suivit, fut assez extraordinaire pour surprendre plus d'une personne. Le monstre qu'était devenu Kanaw s'était mis... à lécher les plaies de la Princesse, goûtant son sang sans profiter de sa chair, et portant visiblement assez attention à elle, pour tenter de la soulager.

Il était pourtant visible, vu l'intensité meurtrière de l'homme bête, qu'il ne valait mieux pas le déranger. Et peut-être, s'il était encore suffisamment lui-même, jouait-il seulement avec l'instant, et la puissance qu'il avait acquise... Peut-être, oui, ou alors, au contraire, pouvait-il réellement se montrer attentionné, dans un tel état ? ... Difficile de répondre, surtout quand on savait que Kanaw Llyr était entre le jeu d'acteur, et la réalité. Entre la manipulation, et la sincérité...

Absolument imperturbable. Il n’y avait aucun autre adjectif pour décrire la Princesse à cet instant précis, tandis qu’elle relevait seulement la tête et assistait, aussi immobile qu’une statue de marbre, à l’arrivée fracassante – et salissante – du dernier Capitaine. La jeune femme s’accorda une très brève seconde pour le détailler, et fut sur le point de hausser les épaules avec négligence, comme si l’événement parfaitement indigne de tout intérêt. A vrai dire, il n’y avait pas grand chose, pour l’instant, qui eut l’air digne du moindre intérêt.
Cependant, ce haussement d’épaule ne vint pas, comme si elle ne voulait pas le moins du monde bouger ne serait-ce qu’un millimètre de son dos.

Cela rendait son maintien quasiment parfait, mais aussi bien trop raide et sec pour paraître complètement crédible. Peu lui importait… Ses vêtements étaient déjà bien assez tâchés, pour qu’elle ne se soucie que guère de la boue qui les macula plus encore, puis de cette pluie bienfaitrice qui tomba sur son visage.

Elle semblait mettre un point d’honneur à ne pas remarquer la présence de son fiancé, comme pour lui faire comprendre quelque chose… Elle ne dégageait aucune animosité, aucune agressivité à son égard, bien au contraire. Il n’y avait rien… Rien du tout. Comme s’il n’avait jamais existé.Car même à l’exclamation de Kanaw, elle ne fit pas un geste. Pas un suraut, pas un regard vers lui. Ni la moindre surprise. Juste des yeux de glace et d’indifférence, qui parcouraient nonchalamment toute l’assemblée, attendant toujours une réponse à sa question.

Et pourtant… Imperturbable, elle ne pouvait pas l’être éternellement. Pas lorsqu’il se passa ce que sa curiosité avait toujours voulu qu’elle voit, depuis que le Capitaine des Corsaires le lui avait expliqué. Dans un geste qui sembla inconscient, Eleanora baissa la tête vers Kanaw, qui s’était laissé retomber à terre, et se transformait… Elle n’eut pas un seul signe de surprise. Mais un éclat, fugace, irréel, traversa son regard.

Cela ne dura qu’une fraction de seconde, avant que le sourire charmant et convenu de la jeune femme ne s’agrandisse, au profit d’une expression qui ressembla vaguement à une sorte d’ironie… En un mouvement un peu plus lent que la normal, comme précautionneux, évitant de trop bouger son dos, elle croisa les bras, nonchalamment, et attendit… Attendit que Kanaw ne court jusqu’à elle.

Elle observa sans le moindre état d’âme un corsaire dont le courage frôla la témérité, et qui dut le regretter amèrement. Cela n’eut pas l’air de la toucher. Elle ne montra ni stupéfaction, ni signe de peur ou d’horreur… En somme, elle n’avait pas tellement changée que cela…

A ceci près que Eleanora retint inconsciemment son souffle, au moment où le regard rouge profond de l’homme-loup se posa dans l’éclat métallique de ses yeux. Une lueur tranchante et glacial d’indifférence les parcourut pendant ce court moment… une lueur particulière, qui ne se résumait pas à ce qu’il connaissait déjà d’elle. C’était une indifférence si profonde, qu’elle ne pouvait être réelle… Il y avait autre chose. Autre chose qu’une simple envie de l’ignorer. Une blessure qui n’avait rien à voir avec celles de son visage… Une blessure de l’âme.

Que croyait-elle à ce moment précis ? Pensait-elle, comme tous les autres, que le Capitaine des Corsaires avait perdu la maîtrise de lui-même, et qu’il ne cherchait qu’à la tuer ? Impossible de réllement le savoir, bien évidemment… Mais il se passa alors quelque chose d’aussi extraordinaire que le geste de l’homme-loup.

Eleanora eut un mouvement de surprise, et arbora une expression absolument indéchiffrable, entre stupéfaction, incompréhension, et neutralité… La jeune femme se figea, et presque instinctivement, ferma les yeux, sans que l’on sache si c’était de sa propre volonté ou non. L’espace d’une fraction de seconde, Kanaw put sentir une sorte de frémissement agiter la peau de la Princesse… Mais cette impression fut si fugace qu’elle passa pour une illusion.

Surtout lorsque la voix de la jeune femme, froide et charmeuse tout à la fois, murmura en articulant à peine :

- Kan… Tu ne crois pas que c’est un peu tard… pour te rendre utile ?

La Princesse avait-elle conscience de jouer avec le feu ? Très certainement. Mais toute de glace et de froideur qu’elle était, cela ne la dérangea pas. Les yeux toujours clos, comme si c’était la seule chose qui pouvait encore la trahir, elle glissa sa main sous le menton du Capitaine, pour le faire redresser la tête, et cesser son manège.

Alors elle rouvrit les yeux, comme deux lames scintillantes indéchiffrables… Elle n’avait pas l’air de lui en vouloir. Au contraire, elle lui sourait doucement de cette expression convenue qu’elle accordait à tous. Elle était tout à fait normale… Ou presque. Elle n’avait pas l’air de sentir le danger d’une telle situation, ni d’en craindre quoi que ce soit… A moins que tout lui fut égal.

En fait… Elle constatait. Oui c’était exactement cela… Avec une froide logique, elle analysait tout cela, et en venait à des conclusions toutes plus évidentes les unes que les autres, de son point de vue. Conclusion qu’elle ne se privait pas d’énoncer à voix haute, indifférente. D’apparence.

- C’est d’un médecin dont j’ai besoin…C’est tout.

Le sous-entendu était plutôt clair… et très désagréable à entendre, certainement. Mais elle ne s’en familiarisa pas, et termina, impitoyable :

- Puisque j’aurais pu mourir, et que c’était le sort qui m’attendait… Rends-moi service, Kan… Fais comme si c’était le cas.

-Epargnez-moi ce spectacle lamentable d'un amour qui transcenderait son état de furie, s'il vous plaît. Votre compagnie m'indispose déjà suffisamment, qu'il faille en rajouter pour me dégoûter de votre existence en ce monde.

Aura laché Erwana sur un ton de dégoût, et dans la seconde où Kanaw s'était retrouvé face à Eleanora, elle n'avait pas hésité, elle avait dégainé son pistolet qu'elle tenait pointé, le cran de sûreté relevé, vers son frère en transformation.

-Princesse, écartez-vous, sait-on jamais que je ne tire pas assez vite pour vous empêcher une mort tragique.

Tiens? Mais pourquoi tenait-elle tellement à protéger la princesse? A croire que dans la famille, c'était une habitude de manipuler les gens et de comploter, d'abuser, de profiter, de conspirer. Si son frère avait vu un intérêt dans cette union, sa soeur n'était pas bête. Être la soeur d'un futur roi, ça pouvait avoir son importance à ses yeux également. Seulement, elle n'en n'avait jamais parlé à qui que ce soit et en ce sens tout le monde ignorait qu'elle pouvait, elle aussi, avoir des projets à long terme, autre que celui de la vengeance.
Elle était comme la princesse, le regard imperturbable, limite blasé par la situation, comme si c'était tout naturel de tenir en joue son propre frère. Ses yeux fixaient avec une étroite et presque vexante indifférence l'être qui était de sa propre famille. Le bras tendu, fixe, immobile, prête à faire feu au moindre signe d'agressivité. Mais ce n'était pas tout... Erwana avait su se faire respecter et se faire comprendre de ses hommes, même si elle ne donnait aucun ordre. Rapidement, quelques marins arrivèrent autour des trois personnes et visèrent également Kanaw Llyr, armés, parés à faire feu.

-Je suis une fille prévoyante, tu devrais le savoir, Kanaw. Si tu te calmais maintenant, qu'on évite un massacre inutile? Même si la délectable idée de mettre fin à ta vie a, j'avoue, énormément de charme à mes yeux, j'aurais préféré aujourd'hui tuer l'autre ordure qui a bousillé mon manteau de velours.

Sans même un regard pour le Capitaine de la Marine dont la simple présence passait hautement inaperçue pour la Capitaine des Pirates, elle fit un pas en avant, se mettant ainsi à hauteur de la Princesse et ne lui accordant aucun regard, se répéta:

-Eloignez-vous, cela pourrait être dangereux. Et Dieu sait que ça me coûte de donner des conseils et protéger la vie de Corsaires... A croire finalement que les gens les plus civilisés et intelligents ici soient ces abrutis de Pirates qui ne pensent qu'au sang et à la fortune, n'est-ce pas? Le ridicule de cette situation, qui alarme certains, a pour moi quelque chose de risible et de tellement pitoyable que cela en devient presque humiliant, d'y être mêlé.

Et son magnifique regard hautain et arrogant n'avait pas cillé, détaillant avec un intérêt tout particulier, presque carnassier, la silhouette du monstre que devenait Kanaw quand il se transformait:

-Frère, votre impulsivité me navre. Ne demande-t-on pas un minimum de sang-froid quand on veut être le chef d'un tas de traîtres à leur origine et leur couronne? Allez, allez. Calmez-vous donc et allons comploter anéantissement de monstres autour d'un bon verre de vin.

Et là, un étrange sourire vint s'esquisser au coin de ses lèvres. Un adorable sourire sadique qui, au fond, n'augurait qu'une envie de carnage, au fond d'elle. Elle n'attendait qu'une chose, probablement, que son frère ne se montre pas aussi conciliant qu'elle le lui demandait, et qu'elle puisse user sa poudre dans son coeur. Mais non... Elle préférait, à choisir, une mort plus humiliante, une mort plus impressionnante, une mort parfaite, pour l'homme qu'elle détestait le plus au monde.

Kanaw venait d'obtenir un point de vue tout particulier sur la situation, étant donné qu'il se rendait compte qu'il ne comprenait pas un traître mot de ce que disaient les gens autour de lui. Et cela avait ses bons, et ses mauvais côtés, comme toute chose en la vie.

D'une part, quand Eleanora parlait, de sa voix à la voix si froide et si charmeuse, elle avait cet air séducteur que pourrait arborer une belle épée. Magnifique, tentatrice, mais dangereuse. Pour Kanaw, elle aurait tout aussi bien pu lui dire d'aller se coucher, que cela aurait eu le même effet sur lui. Il ne voyait pas du tout où elle voulait en venir, et vu les paroles de la jeune femme, c'était une excellente chose. Kanaw aurait pu s'énerver plus qu'il ne l'était.

Ceci dit, cela ne l'empêcha pas d'afficher une expression de sincère surprise, quand la Princesse lui fit relever la tête. Il avait senti quelque chose, sur sa peau, un infime frémissement, aussi agréable que surprenant... s'il était dans la capacité d'être surpris par quoi que ce soit. Ce qui n'était pas certain.

Cependant, il ne demeura pas longtemps à observer Eleanora, puisqu'il avait une jumelle, et que sa sœur était très peu agréable. Car, bien qu'il ne comprenne pas non plus ce qu'elle disait, il avait au moins le mérite de savoir que quelqu'un qui sortait un pistolet n'était pas quelqu'un qui lui voulait du bien. Sauf que le cerveau légèrement diminué de l'homme loup avait du mal à vraiment comprendre la situation : à qui voulaient-ils du mal, réellement ?

Erwana avait une odeur toute particulière -puisqu'à ce stade, c'était par odeur qu'il reconnaissait les êtres-. Une odeur qui le faisait douter, même, de l'intérêt à éliminer cette femme. Sa sœur, qu'il ne reconnaissait plus comme étant sa jumelle. Les hommes autour d'eux avaient-ils l'envie de tuer Erwana, ou les dirigeait-elle ?

Il n'arrivait pas vraiment à le savoir. De son regard rouge et brillant, il n'y avait pas cette lueur intelligente de celui qui comprenait tout. Il y avait plutôt le questionnement. Qui était l'ennemi, ici ?

Il y avait quelques personnes, qui avaient l'air de fixer les tireurs avec un air énervé. Qui étaient-ils ? ... ah, si Kanaw avait pu reconnaître ses Corsaires, et leur faire savoir qu'ils pouvaient attaquer...

Au lieu de cela, il se mit à grogner, en se plaçant de manière à protéger Eleanora... ce qu'il valait mieux ne pas faire remarquer, c'était qu'il n'était pas agressif envers Erwana, mais envers ses Pirates. Erwana n'était pas considérée comme étant dangereuse, elle pouvait même, si besoin était, de part sa proximité, être protégée.

Il lécha la main de sa sœur et aboya, en réponse à son sourire charmant, et reprit sa position de défense, sans oublier de pousser un grognement assez impressionnant... Il n'attaquait pourtant pas, parce qu'il sentait bien qu'il était en nombre inférieur, et parce que s'il se déplaçait, il ne pourrait plus protéger qui que ce soit.

Ceci dit, d'un certain point de vue, il avait peut-être plus besoin d'être protégé qu'elles.

- Je vois.

Ce fut la première chose qu’Eleanora répondit finalement, ses yeux gris passant de Kanaw à sa sœur, avec une étonnante simplicité, et un calme presque exaspérant. Etrangement semblable à l’attitude d’Erwana…
Elle n’avait pas esquissé un seul mouvment de surprise ou de protestation lorsque le Capitaine des Pirates avait sorti son arme pour la pointer sur son frère en pleine transformation. Non pas qu’elle encouragât ce geste… mais elle n’avait pas l’air d’y voir un inconvénient non plus.

Quant aux paroles qui avaient suivies… elles n’eurent apparemment pas le moindre effet sur elle. Quoique… Certain aurait pu se montrer vexés, en colère, furieux même, que la jeune femme dévoile ainsi des plans et des ambitions qui auraient dû rester secrets. Mais non… Au lieu de cela, les actes, comme les mots d’Erwana, avivaient un intérêt certain sur le visage de la Princesse.

Non pas qu’elle en perdît son expression d’indifférence totale, mais il ne faisait pas de doute que le Capitaine des Pirates avait réussi l’exploit d’attirer vaguement son attention. Encore qu’elle n’en montrât pas grande chose… Mais son simple regard froid, presque satisfait, posé sur le visage de cette jeune femme qui lui parlait sans la fixer, était une preuve on ne peut plus suffisante, pour ceux qui la connaissait.

L’ennui était que ce cher Kanaw n’était plus en mesure de saisir ce genre de subitlités. Il semblait d’ailleurs qu’Eleanora ait subitement compris ce léger détail… Elle le connaissait assez pour savoir que ce qu’elle lui avait dit méritait un peu plus de fureur. Elle savait même qu’elle aurait pu risquer de se faire tuer, rien que pour cela… Mais non. Ni elle, ni la sœur de son fiancée ne paraissaient avoir attisé l’énervement du Croc Noir.

Au contraire, il s’était mis dans la tête de les protéger, l’une comme l’autre. Les protéger de quoi ? Eleanora n’eut pas l’air de vouloir se poser la question. Ses narines frémir légèrement, alors qu’elle sentait sans le moindre problème l’odeur de la poudre se répandre autour d’elle, concluant rapidement que l’arme d’Erwana n’était pas la seule à menacer Kanaw. Et elle paraissait s’en moquer royalement, aussi sûr qu’elle se fichait de la boue sur ses vêtements.

Ses yeux fixèrent un instant le Capitaine des Corsaires qui se mettait visiblement en devoir de lécher la main de sa sœur, pour une obscure raison, et le sourire ironique de la Princesse s’élargit un peu plus. S’amusait-elle réellement de la situation, quand des armes menaçait celui qu’elle devait épouser, et qui ne comprenait certainement rien à ce qui lui arrivait ?

Le protéger ? Elle ne donnait pas du tout l’impression de vouloir le faire. Bien au contraire. Il passa dans son regard une lueur satisfaite, alors qu’elle faisait un pas vers Erwana, contournant distraitement Kanaw qui s’évertuait à se placer devant elle. Et comme s’il n’avait été qu’un simple animal de compagnie, elle sembla oublier sa présence, pour s’adresser à sa sœur, avec cette même indifférence teintée de courtoisie :

- Voici dont la fameuse sœur qui le torture tellement… Je ne crois pas que nous ayons eu le temps, ni la chance, d’être présentées. Mon nom est Eleanora. Je suis sincèrement navrée si ma présence vous incommode tant, mais il va m’être fort difficile de quitter cette île, compte tenu du fait que ce navire de pleutres qui m’a menée jusqu’ici n’a pas souhaité s’y éterniser…

Elle parlait avec une sorte de politesse complètement hors contexte, mais qui allait à merveille avec ce sourire d’indifférence et de convenance qu’elle gardait ancré sur ses lèvres. La jeune femme esquissa un léger signe de tête en guise de salut, et si Kanaw avait été en état, il aurait pu en être surpris. Il semblait y avoir une sorte de respect, dans son attitude… A moins que tout ne fût encore qu’un moyen d’arriver à ses fins.

Nul ne put être sûr de ce qui se tramait en ce moment derrière ce regard sans faille, alors qu’elle le fit glisser jusqu’à l’arme qui menaçait son futur époux. Eleanora arqua un sourcil perplexe, et constata alors platement :

- Même si vous me voyez reconnaissante de vous en faire pour ma santé, je ne pense pas qu’il y ait le moindre risque, ni pour vous, ni pour moi…

Elle esquissa un petit signe du menton vers Kanaw, à qui elle adressa une sorte de sourire un brin sadique.

- Je doute qu’il comprenne un traître mot de ce que nous racontons, sinon il y a fort longtemps que je ne serais plus qu’un souvenir… En somme, votre frère m’a tout l’air d’avoir la capacité intellectuelle d’une petite cuillère, pour l’heure…

Aucun signe d’amusement dans sa voix, et pourtant, ses paroles eurent fortement l’air d’une véritable moquerie. Elle ne s’en formalisa pas outre mesure, et continua posément, comme si elle déroulait simplement un développement tout ce qu’il y avait de plus logique :

- Et cela n’en est que plus utile. Si vous daignez m’écouter, je pense que vous conviendrez comme moi qu’il ne sert à rien de le tuer – du moins maintenant – ou même de le forcer à se calmer… Bien qu’il soit un danger pour certains, c’est encore sous cette forme qu’il est le plus intéressant. Puisque notre mission première est de venir à bout du monstre qui menace les océans… Notre cher Kanaw ici présent devient une arme non négligeable, non ?

Eleanora souligna son raisonnement d’un sourire simple, un peu trop innocent pour ne pas paraître inquiétant. Apparemment, elle ne souhaitait pas qu’Erwana en finisse avec son fiancé, mais n’avait pas non plus le moindre scrupule à utiliser Kanaw pour ce genre de situation.

- Si nous parvenons à nous débrouiller plutôt bien, je suis presque certaine qu’il fera ce que nous réussirons à lui expliquer, tant qu’il se maintiendra sous cette forme… Jouer avec le feu comporte certes quelques dangers, mais le résultat vaut souvent les risques que l’on prend… Et si votre désir le plus cher est bien celui que vous clamez si haut, alors si votre frère meurt dans la bataille, vous n’en verrez sans doute pas le moindre inconvénient.

La jeune femme tourna la tête vers le sujet de leur discussion, et avança une main distraite pour effleurer la joue du Croc Noir, comme pour apprivoiser un animal sauvage et dangereux, sans la moindre hésitation. Puis elle conclut simplement :

- Pour ma part, cela ne m’ennuierait pas outre mesure. Kanaw Llyr m’a prouvé qu’il n’était pas si indispensable qu’il voulait bien le montrer…

Puis elle reporta son regard vers son interlocutrice, négligeant les autres. Son expression était tout aussi inébranlable que celle du Capitaine des Pirates, et l’une comme l’autre, paraissait n’être touchée par rien de ce qui se produisait.
La voix d’Eleanora n’avait pas une seule faille. Elle était si neutre, qu’on ne pouvait pas réellement savoir ce qu’elle voulait vraiment… Est-ce que son but était simplement d’utiliser son fiancé comme une arme, ou bien utilisait-elle son discours avec l’envie de lui sauver la vie ? Rien n’était plus difficile à trouver que cette réponse là…